La réglementation des tapis roulants est au cœur de l’actualité. Si cette dernière a fait l’objet d’une révision qui s’est traduite par la publication d’un nouvel arrêté ministériel en 2017, elle a été suivie par l’édition d’une nouvelle version du guide dénommé « Tapis roulants de stations de montagne – instructions techniques » datant de 2012 par le STRMTG. Entre évolutions et exigences de mise en conformité d’une partie du parc existant, l’actualité des tapis roulants est également marquée par un autre volet encore aujourd’hui à l’étude au niveau national.
Suite à un accident mortel survenu dans les Pyrénées, de nouvelles mesures constructives d’amélioration de la sécurité des travailleurs liées aux interventions sur les tapis roulants vont venir compléter la réglementation en vigueur. Car si les Pyrénées ont déjà agi en la matière en 2017, en procédant à la mise à jour de l’ensemble du parc du massif, un groupe de travail national est aujourd’hui en place afin que les solutions trouvées ne s’appliquent pas localement mais bien sur l’ensemble du territoire. Pourquoi de telles évolutions, comment se sont-elles traduites concrètement, quelles problématiques peuvent-elles soulever ou engendrer, que va-t-il se passer à court terme ? Parole est donnée aux experts.
INTERVIEW : Robert Tardieu – Chargé de mission Remontées mécaniques, Qualité-Sécurité-Environnement.
Montagne Leaders : Différentes évolutions règlementaires touchent aujourd’hui les tapis roulants. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Robert Tardieu : Tous les cinq ans environ, l’État, via le STRMTG* et la DGITM**, se saisit de la question, en association avec les acteurs concernés, afin de mettre à jour la réglementation applicable aux tapis roulants. Dès 2016, ces deux organismes ont lancé un nouveau chantier visant à réviser d’une part l’arrêté du 29 septembre 2010 modifié, relatif à la conception, à la réalisation, à la modification, à l’exploitation et à la maintenance des tapis roulants, et d’autre part le guide technique « Tapis roulants des stations de montagne – Instructions techniques » dont la dernière version datait de 2012.
En parallèle de cette révision, les tapis roulants sont également concernés par une mise en conformité suite à l’accident mortel qui a touché un salarié lors d’une opération de maintenance sur une installation dans les Pyrénées.
Montagne Leaders : Concernant l’évolution de la réglementation, quelles sont les principales évolutions ?
Robert Tardieu : L’ensemble des évolutions réglementaires a été acté par un arrêté du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, en charge des relations internationales sur le climat en date du 17 janvier 2017 ainsi que par la publication par le STRMTG d’un nouveau guide technique relatif aux tapis roulants des stations de montagne le 13 juillet de la même année.
Concrètement, cela concerne essentiellement la prise en compte des tapis grande vitesse (qui dérogeaient jusqu’ici à la réglementation) et l’obligation de mise en conformité à l’horizon 2024 des tapis dont la première mise en service est antérieure au 15 septembre 2004. Cette révision apporte également différentes avancées dont les aménagements des zones de départ et d’arrivée. En outre, en ce qui concerne les tapis équipés de galeries, le STRMTG demande d’apporter de nouvelles justifications, notamment sur le dimensionnement de ces dernières, car elles doivent d’une part supporter le poids de la neige, et d’autre part le vent.
Montagne Leaders : Quelles conséquences sont à prévoir pour les opérateurs de domaines skiables ?
Robert Tardieu : La révision de la réglementation était nécessaire, mais la mise en conformité des tapis construits avant le 15 septembre 2004 peut pénaliser fortement ces installations avec le risque de ne pas pouvoir les mettre en conformité et donc de devoir les remplacer. Car soit techniquement ce ne sera pas possible, soit cela sera trop coûteux. Le coût de la mise à niveau peut en effet être dissuasif et peut-être que certains maîtres d’ouvrage diront qu’il est préférable de changer les tapis après analyse des coûts. C’est une mesure très contraignante qui pèse sur les exploitants.
Montagne Leaders : Est-ce à mettre en corrélation avec une quelconque accidentologie ?
Robert Tardieu : Non, c’est déconnecté de l’accidentologie. C’est plutôt parti du constat que des tapis peuvent être en retrait des tapis qui sont conçus aujourd’hui, et qu’il était nécessaire de les mettre à niveau. Cette décision est justifiée par rapport au
niveau de sécurité des tapis d’aujourd’hui.
Montagne Leaders : Dans la circulaire n°3387 datée du 23 octobre 2017, vous alertiez les adhérents de DSF quant aux conséquences d’un accident mortel sur « la conception des tapis neufs, voire sur la mise en conformité des tapis existants ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Robert Tardieu : En février 2016, est survenu l’accident mortel d’un salarié dans le cadre de ses fonctions, lors d’une opération de maintenance sur un tapis roulant dans les Pyrénées. Suite à cet accident, il y a dans un premier temps eu une action locale, que j’explique dans la circulaire, au niveau des Pyrénées. Les services d’inspection du travail et les services CARSAT***, ont travaillé de concert avec les exploitants pour arriver à une exigence de mise en conformité des tapis roulants sur des aspects de sécurité du travail, avant l’ouverture de la saison d’hiver 2017-2018. Ce sont les directions en charge de la sécurité du travail qui ont été en première ligne car en l’espèce on ne parle pas de la sécurité du client, mais du personnel. Dès lors, cela relève de la sécurité du travail et donc du ministère du Travail, et non pas du STRMTG même s’il est associé à la réflexion.
Montagne Leaders : N’est-ce pas quelque peu incompréhensible de limiter cette obligation au seul massif des Pyrénées ?
Robert Tardieu : Domaines Skiables de France a été alerté de la survenance de l’accident au sein de la station pyrénéenne. Très
rapidement, et fortuitement, j’ai été associé à une réunion de travail dans les Pyrénées à la base sur un autre sujet mais où nous avons abordé cet accident et les suites à donner. Quand j’ai vu la tournure que cela prenait, je me suis permis de dire que ce n’était pas un problème pyrénéen car cet accident
pouvait se produire partout ailleurs. DSF a alors proposé la création d’un groupe de travail national, associant le ministère du Travail, le STRMTG, les fabricants, les exploitants, les écoles de ski, pour essayer de définir ensemble des règles partagées afin d’éviter la reproduction d’un accident identique.
Montagne Leaders : Comment la création de ce groupe a-t-elle été acceptée ?
Robert Tardieu : Cela a été globalement accepté, mais il fallait encore convaincre le ministère du Travail. Ça a été compliqué, mais nous y sommes arrivés. Cela a pris un peu de retard par rapport à ce qu’envisageaient les inspections du travail des Pyrénées, et donc les Pyrénées sont allées au bout de leur démarche en exigeant des exploitants du massif, une mise en conformité de leurs tapis avant le début de la saison, ce qui a occasionné un décalage au niveau national.
Parallèlement le groupe de travail s’était mis en place, et au niveau de ce groupe nous étions bien conscients qu’un jour ou l’autre, l’ensemble des exploitants de tapis allait être concerné. En parallèle, nous avons pris le soin d’écrire la circulaire pour informer les exploitants sur la situation en cours, et les avertir de ce qu’ils allaient avoir comme obligation à court terme.
Montagne Leaders : Quel est le rôle de Domaines Skiables de France au sein de ce groupe de travail ?
Robert Tardieu : C’est la direction générale du travail qui pilote l’action. Ce seront les services de l’inspection du travail qui seront prescripteurs à l’arrivée, DSF essaye simplement de mettre de l’huile dans les rouages pour essayer de trouver un cadre général qui va s’appliquer de la même façon dans l’ensemble des massifs. L’accident des Pyrénées a marqué la profession, nous avons souhaité nous inscrire pleinement dans ce groupe dont nous avons demandé la création au plan national pour pouvoir traiter le problème de manière homogène et cohérente sur l’ensemble du territoire.
Montagne Leaders :Où en est-on aujourd’hui ?
Robert Tardieu : Aujourd’hui, nous sommes en plein dans la démarche, les choses ont bougé. Il y a eu un peu de retard à l’allumage car nous avions une personne identifiée au ministère du Travail qui pilotait ce dossier au niveau national et qui a quitté ses fonctions. Une nouvelle personne de la direction générale du travail a repris le dossier, et nous avons eu une réunion le 1er février à Paris. À cette occasion, l’ensemble des parties prenantes s’est mis d’accord sur les travaux de mise en conformité à réaliser, et sur un échéancier. L’idée est de rédiger un référentiel technique qui sera en quelque sorte un cahier des charges que les exploitants pourront utiliser pour passer commande auprès des fabricants. En sachant que les fabricants ont déjà répondu aux Pyrénées, ils ont déjà la solution technique dans les mains, et on ne va pas révolutionner les choses, juste les encadrer même si les retours d’expérience des exploitants pyrénéens peuvent faire évoluer les dispositifs mis en œuvre par les constructeurs.
Ce travail devrait aboutir d’ici le mois de juin de cette année, et la direction générale du travail informera probablement les services des inspections du travail des résultats de ce groupe de travail national en leur demandant de répercuter les choses auprès des exploitants de leur département.
Montagne Leaders : De combien d’appareils parle-t-on ?
Robert Tardieu : On parle de plus de 400 tapis, dont une cinquantaine a déjà été traitée dans les Pyrénées en 2017. Il en reste donc 350 à 360 à mettre en conformité.
Montagne Leaders : La mise en conformité concerne l’ensemble du parc ?
Robert Tardieu : Oui. Nous ne sommes pas dans le cas de l’évolution de la réglementation qui ne concerne que les appareils installés avant 2004. Ici, l’ensemble des tapis est concerné.
Montagne Leaders : Une échéance a-t-elle été déterminée ?
Robert Tardieu :Aujourd’hui, au niveau national, nous nous sommes mis d’accord pour échelonner les travaux de mise en conformité sur les trois prochaines inter-saisons. Les derniers tapis seraient donc traités avant le 1er décembre 2020.
Montagne Leaders : Pourquoi trois ans ?
Robert Tardieu : Pour tenir compte à la fois de la capacité financière des exploitants de tapis roulants, parfois de petites structures, et de la capacité d’action des fabricants de tapis, qui ont besoin de temps pour traiter l’ensemble des tapis du parc. Donc trois ans nous paraissaient raisonnables pour échelonner les travaux. Nous avons envisagé des critères qui permettraient de traiter en priorité certains tapis.
Montagne Leaders : Quel est le rôle du STRMTG ? Doit-il contrôler la mise en œuvre effective des modifications apportées sur chaque tapis ?
Robert Tardieu : Le STRMTG s’occupe de la sécurité des clients, des passagers. Il est associé à cette réflexion sur la sécurité des travailleurs car les constructeurs vont venir apporter des modifications sur les tapis roulants, notamment sur les architectures électriques des installations. Et, le STRMTG veut s’assurer que les modifications apportées ne viennent pas dégrader la sécurité des clients. Il ne va pas valider la solution technique en tant que telle, en tant qu’elle réponde à la préoccupation « sécurité du travail », mais en tant qu’« elle ne va pas dégrader le
niveau de sécurité ».
Montagne Leaders : La solution technique apportée par les fabricants est-elle unique, ou chaque entreprise propose-t-elle sa solution ?
Robert Tardieu : Il semblerait que chaque constructeur apporte sa propre solution. On est sur des principes à peu près identiques, mais les solutions sont assez différentes d’un fabricant à l’autre. On parle de deux points essentiels : la marche maintenance, c’est-à-dire de prévoir qu’un salarié puisse intervenir à proximité d’une partie tournante. Logiquement, on n’intervient jamais à proximité d’une partie tournante, l’idée est d’intervenir machine à l’arrêt. Par contre, certaines situations demandent une intervention à proximité d’une partie tournante, et les tapis fournis jusqu’à aujourd’hui ne prévoyaient pas forcément un moyen d’arrêt à disposition de la personne intervenant dans ce cas précis. Aujourd’hui, non seulement la personne qui intervient dans pareille situation doit disposer d’un moyen d’arrêt, mais en plus d’un dispositif d’arrêt à commande continue, c’est-à-dire que pour faire tourner l’appareil, il doit maintenir le dispositif. S’il le relâche, l’installation s’arrête.
Le deuxième point consiste à sécuriser un certain nombre de capots qui donnent accès à des parties tournantes, par la mise en place de capteurs qui en cas d’ouverture de ces derniers, stopperont le tapis.
Montagne Leaders : Comment se fait-il que cela ne soit pas encadré par un texte réglementaire ?
Robert Tardieu : Les tapis sont construits conformément à la directive
« Machine ». La directive « Machine » est censée prendre en compte l’ensemble de la problématique liée à la sécurité au travail. Aujourd’hui, le ministère du Travail attaque clairement la norme « Tapis » dont l’application vaut présomption de conformité à la directive « Machine », en disant qu’en l’état elle est insuffisante pour répondre aux préoccupations de la sécurité des travailleurs.
Montagne Leaders : Pour autant, contester une norme, voire une directive européenne n’est pas une mince affaire ?
Robert Tardieu : Effectivement, et c’est un deuxième chantier qui s’ouvre. En France, nous allons traiter les non-conformités, et la difficulté va être de trouver un consensus avec les autres pays européens sur la question.
Montagne Leaders : Le sujet n’est donc pas clos…
Robert Tardieu : Non, même au niveau national. Une nouvelle réunion de travail est prévue au mois d’avril à Lyon. L’objectif est d’avoir un cahier des charges opérationnel pour le mois de juin de cette année afin que les premiers travaux de mise en conformité puissent avoir lieu dès le début de l’été. Peut-être qu’il y aura une dernière réunion en juin, mais je pense que le référentiel technique sera déjà acté, afin de fixer la règle du jeu aux fabricants, et de permettre aux exploitants de passer leurs commandes en toute connaissance de cause.
Montagne Leaders : En attendant ce référentiel, quel est le rôle de Domaines Skiables de France ?
Robert Tardieu : Dès l’envoi de la circulaire n°3387, c’est-à-dire en octobre 2017, nous demandions aux exploitants d’identifier les situations de travail qu’ils ont à réaliser sur les tapis roulants, de faire une évaluation des risques, et de prendre des mesures de prévention. On a attiré l’attention sur les mesures provisoires à mettre en place.
Retrouvez l’ensemble du dossier dans le numéro 266 de Montagne Leaders.