ENQUÊTE : « Environnement et tourisme de montagne : nos clients sont-ils devenus schizophrènes ? »

Notre société de loisirs est-elle en phase avec nos impératifs environnementaux ? Les visiteurs de destinations touristiques, en l’occurence en montagne, se sentent-ils en adéquation avec leur autre rôle, celui de citoyen responsable ? Ce sont quelques-unes des interrogations qui ont guidé l’élaboration et la conduite de cette étude, réalisée par G2A, CoManaging et Montagne Leaders.

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Plusieurs éléments pré-existants à l’enquête allaient dans le sens d’une préoccupation environnementale croissante chez les Français – la récente crise du Covid, la percée écologiste lors des dernières municipales, ou encore le regard porté sur les problématiques d’enneigement – d’autres, plus récents, sont venus renforcer ce sentiment, comme la réapparition d’un groupe de sénateurs verts, ou l’annonce par Domaines skiables de France de ses 16 éco-engagements.
« Deux enjeux ont guidé cette enquête afin d’apporter des clés de lecture aux acteurs de la montagne », précise Émilie Maisonnasse, directrice des études chez G2A. « Nous voulions savoir si les préoccupations environnementales, de plus en plus fortes chez chacun d’entre nous, l’étaient également dans l’esprit des clients. Mais également identifier les ”points de rupture” de nos clients sur ces préoccupations environnementales. C’est-à-dire que nous voulions percevoir jusqu’à quel point le client a conscience des impacts environnementaux sur son quotidien et sur ses loisirs. Les six enseignements de cette enquête sont riches. Ils témoignent que nos clients sont certes schizophrènes (comme nous tous probablement), mais ils n’ignorent pas que leur plaisir du loisir en montagne a un impact environnemental négatif. La conclusion est un appel à tous les acteurs de l’écosystème montagne, pour que cette destination se démarque d’autres territoires touristiques, sur la cause climatique, le respect de l’environnement, directement corrélé à celui de la santé des individus. La montagne doit devenir un pôle d’excellence en matière environnementale pour préserver son écosystème naturel et économique, et pour préserver ses clients. »

1. L’éveil des « consciences environnementales » est bel et bien là !
Au regard du contexte actuel, plus personne n’en doutait vraiment. Restait à préciser les choses pour le secteur de la montagne touristique. Au rang des enjeux majeurs cités par les Français, le climat est majoritairement mentionné (et plus volontiers par ceux qui partent en montagne) ; la préservation des écosystèmes et des ressources naturelles apparaît en troisième position, la ressource et la qualité de l’eau en cinquième.
Ces préoccupations trouvent une concrétisation dans leur « quotidien » puisque 72 % d’entre eux pensent que les problématiques liées à l’environnement et au climat impacteront leurs déplacements à l’occasion de leurs vacances dans les cinq années à venir.

2. Au moment de passer aux actes, « Nous » devient « Eux »
Cette formule synthétise deux idées. Premièrement, les touristes français ont parfaitement conscience que leur propre comportement est au centre de l’impact sur l’environnement en montagne. Les sondés citent principalement quatre facteurs de nuisance : les flux automobiles des touristes, leur comportement, le tranport aérien touristique, et les déchets. (Ces quatres items sont autant valables pour la saison hivernale qu’estivale.)
Ceci étant, la donne n’est plus la même au moment de passer aux actes, puisqu’ils considèrent que les actions en faveur de l’environnement relèvent en premier lieu du gouvernement et des instances internationales.

3. La question environnementale : « une nécessité », ou l’acceptation des contraintesDans la continuité du point précédent, et avec la conscience que leur propre initiative sera insuffisante, les Français semblent avoir intégré que la situation évoluera par un système de restrictions.
Près de la moitié d’entre eux pensent ainsi que les enjeux liés à l’environnement devraient imposer aux destinations touristiques des pratiques plus respectueuses.

4. La Montagne est épargnée, mais le ski est menacé
Dans l’imaginaire collectif, la montagne a la chance d’occuper « naturellement » une place privilégiée. Elle fait partie (avec la campagne) des destinations touristiques perçues comme les plus respectueuses de l’environnement. Si ce constat vaut largement pour la saison estivale (78 %), il est beaucoup plus partagé au sujet de l’hiver : 47 % jugent ainsi que les destinations touristiques de montagne ne sont pas respectueuses de l’environnement, et 14 % avouent que cela remet en cause leur envie de s’y rendre…

5. Pour les remontées mécaniques pas de danger, mais un grand péril sur l’activité neige
Si les équipements de remontées mécaniques semblent discrets, la neige de culture fait toujours parler d’elle. Plus surprenant : ce sont les pratiquants qui la jugent la plus sévèrement. Tandis que les atouts de l’économie touristique ne font aucun doute, 53 % de sondés estiment qu’il ne sera plus possible de pratiquer des sports d’hiver, dans un avenir plus ou moins éloigné !

6. Et si on embarquait nos clients ?
L’enjeu est là : 86 % des sondéspensent que l’environnement doit devenir une priorité en montagne.
Les bonnes volontés sont également présentes : 35 % des Français fréquentant la montagne considèrent que les touristes doivent s’investir, aux côtés des collectivités locales (32 %). Et les labels environnementaux pourraient bien avoir leur rôle à jouer…

Les territoires de montagne ont la chance de pouvoir encore disposer d’une image positive. Ils peuvent aussi et surtout compter sur une clientèle consciente de son impact, et prête à suivre un mouvement qu’elle n’initiera pas. Il appartient aux professionnels de les prendre par la main. •

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Du 17 au 25 août derniers, cette enquête a questionné 1 136 Français représentatifs de la population.

Jean-Marc DEVANNE,  CoManaging

> Jean-Marc DEVANNE, CoManaging

Quel est selon vous l’enseignement à retenir de cette étude ?
Les destinations touristiques vont devoir changer de propositions face à la prise de conscience, par nos clients, de la problématique environnementale. Cela va au-delà d’un aménagement des produits et expériences touristiques. Cela implique une réinvention des destinations avec la participation forte de leurs professionnels, notamment sur la manière dont les clients vont pouvoir être embarqués dans une sorte d’histoire collective où tout le monde participe non seulement à la préservation de l’environnement de la montagne, mais aussi à sa réparation. C’est un enseignement très fort mais aussi un sujet complexe pour les destinations et les territoires. On ne peut qu’envisager une évolution progressive vers ce modèle.

Ce mouvement constitue-t-il un point de rupture dans la sociologie du tourisme ?
Je le pense. Le tourisme a connu ces vingt dernières années la bascule liée à l’émergence du numérique. L’ampleur pourrait être équivalente. Même si les conséquences ne se situent pas aux mêmes endroits, le caractère d’enjeu stratégique majeur est du même niveau.

Quand peut-on estimer une mise en pratique de ces bonnes volontés ?
Je pense que l’on pourrait constater des résultats relativement sérieux dans les quatre à cinq ans à venir. Il faut garder à l’esprit que cela implique des investissements importants. Le problème pèsera sur celles et ceux qui ne feront rien dans les cinq ans. À l’issue de cette période, il sera déjà trop tard pour eux.

L’écosystème station peut-il permettre cette mobilisation collective ?
J’ai le sentiment que les territoires de montagne disposent d’un niveau de maturité élevé sur leur capacité à partager leurs difficultés, leurs enjeux et leurs solutions. Il existe un climat d’action
collective. C’est probablement un point fort de la montagne par rapport à d’autres secteurs.

Daniel ELKAN, SnowCarbon

> Daniel ELKAN, SnowCarbon

Plus de 70 % des Français pensent que leurs déplacements à l’occasion de leurs vacances sont impactés par la question environnementale, ou le seront dans les cinq années à venir. Êtes-vous surpris par cette proportion ?
Je ne suis pas surpris, car les médias se sont emparés depuis plusieurs années du problème du niveau des émissions de carbone. Aujourd’hui la question porterait plutôt sur la manière dont ces consciences éveillées se convertiront en comportements plus responsables.
Les proportions sont-elles identiques au sein d’autres populations touristiques ?

Je n’ai pas observé d’études équivalentes, mais j’imagine que c’est similaire. Ces douze derniers mois, j’ai reçu de plus en plus de mails de skieurs britanniques souhaitant choisir des destinations accessibles en train, dans un souci environnemental. Ils avaient déjà de bonnes raisons de préférer le train : c’est un transport pratique, avec des correspondances brèves, qui offre la possibilité de voyager de nuit… au bénéfice de plus de temps passé sur les pistes. Cette motivation, liée à la question environnementale, est une tendance nouvelle, et elle est croissante.

Comment ces consciences pourront-elles se traduire concrètement en termes de transport ?
Il existe beaucoup de solutions ferroviaires pour rejoindre les Alpes, pour les Français ou les Britanniques, mais plusieurs problèmes existent.
Les compagnies (Eurostar, SNCF, Thalys) ne semblaient pas intégrées à l’industrie du ski. C’est l’une des raisons pour lesquelles plusieurs TO britanniques ne sont jamais parvenus à créer des packages avec train inclus ; la vente en direct semblait être privilégiée. Par ailleurs, la billetterie et la communication de ces solutions ferroviaires ne sont pas interconnectées, ni optimisées. Des solutions de transport existent mais elles ne sont pas visibles par la clientèle. C’est regrettable car les infrastructures existent.

Yariv ABEHSERA, Travelski

> Yariv ABEHSERA, Travelski

Quel est l’enseignement de cette étude selon vous ?
Il existe une conscience écologique au sein de la population des skieurs. On n’observe pas de posture bashing sans justification. L’opinion au sujet de la neige de culture en est une illustration. On est loin des images d’hélicoptère de l’hiver dernier, complètement manipulatoires. Je retiens aussi qu’au-delà de cette conscience, il reviendrait à l’État de faire ce travail, alors que l’on évoque là un sujet collectif qui nécessite une action globale. Et dans tout ce contexte, la montagne dispose d’un enjeu et d’un patrimoine qui peuvent être sauvegardés sans aucun problème.

Est-ce-que cela peut vous amener à réfléchir à votre positionnement ?
Cette enquête rejoint nos études post-saison qui ont détecté une demande de nos consommateurs sur de la transparence dans la communication, une sorte de « Travel for good » basée sur la prise de conscience environnementale appliquée au secteur du voyage. Jusqu’alors on pouvait hésiter à jouer la transparence sur l’hébergement, la neige, les économies d’énergie… en craignant que ça puisse se retourner contre nous. On constate le contraire : il existe une grande maturité chez les consommateurs qui partent à la montagne, ils ont conscience du travail des socio-professionnels sur des notions qui leur tiennent à cœur, comme la préservation de la ressource. Parallèlement, nous réfléchissons à intégrer Rategreen, une starp-up qui a lancé un outil de notation RSE pour les secteurs du voyage d’affaires et des loisirs.

Et à intégrer le transport ?
92 % de notre clientèle voyagent en voiture. Nous proposons aujourd’hui l’offre navette depuis les trains. Si nous souhaitions faire plus, nous ne pourrions pas le faire seul. Il existe un énorme enjeu sur le train, particulièrement vers la montagne. On connaît les difficultés d’infrastructures, mais ce transport pourrait être encore plus plébiscité avec un meilleur rapport qualité-prix. Et il reste lié à une problématique de fréquence, notamment liée au sacerdoce du « samedi au samedi ».

Bruno CLÉMENT, MMV

> Bruno CLÉMENT, MMV

Que retenez-vous de cette étude ?
L’évolution de la sensibilité des clients par rapport à l’environnement. Les chiffres dont nous disposions
il y a quatre ou cinq ans montraient un intérêt de la clientèle pour la question environnementale, sans qu’elle ne soit un critère de choix. C’est en train de le devenir. C’est fondamental.

N’est-ce pas une simple profession de foi ?
Je pense que cette tendance se concrétisera. Les valeurs liées à la question environnementale prônées par MMV, et par de nombreux acteurs de l’écosystème de la montagne, sont déjà très fortes. Mais au-delà des valeurs, il s’agira de vérifier que les engagements soient respectés. Exprimer des valeurs sur un site internet est une chose, s’engager concrètement en est une autre !

Comment cela peut-il impacter vos nouveaux programmes immobiliers ?
Nos nouveaux établissements respectent déjà de nombreux critères liés aux normes actuelles de construction, et vont parfois au-delà de ce qui est exigé. Nos financeurs ont également un cahier des charges précis pour évaluer nos projets et notre politique environnementale. Tout cela reste invisible aux yeux du client. Nous allons donc mettre en place des éco-labels d’hébergeur, pour la construction et l’exploitation des bâtiments. Mais nous souhaitons aller plus loin en « éduquant » nos clients. En s’appuyant sur notre philosophie de Clubs vacances, nous proposerons des programmes d’animation sur des logiques environnementales destinés aux parents et aux enfants, avec pour objectif l’intégration de logiques d’éducation positive. Nous échangeons pour cela avec « Water family ». Et nous voulons également former notre personnel aux gestes éco-responsables.

Et sur le volet rénovation ?
Nos projets de réhabilitation sont déjà basés sur une logique environnementale. En tant qu’exploitant l’efficacité énergétique est une priorité pour réaliser des économies de fonctionnement significatives.