Frédéric Jarry : 2021 - 2022 : le bilan des accidents d’avalanche

Comptabilisant neuf décès, la saison 2021-2022 des accidents d’avalanche contraste avec le total de 40 décès recensés l’année précédente. L’ANENA fait le point sur ce bilan, pour l’heure provisoire.

Jamais l’Association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches (ANENA) n’a comptabilisé un nombre aussi faible de décès, depuis que l’association recense les accidents d’avalanche (ceux impliquant au moins une personne emportée).

Ce travail de collecte des données d’accidents d’avalanche a débuté dès la création de l’ANENA, en octobre 1971. Seules les années 1971-1972, 1974-1975, 2018-2019 et 2019-2020 enregistrent des chiffres aussi faibles (respectivement 12, 11, 13 et 12 décès). Ces valeurs sont à comparer au nombre moyen de décès, fixé à 29,6 décès par an, sur les cinq dernières décennies. Mais attention, l’année « avalanche » 2021-2022 n’est pas terminée et ce chiffre de neuf décès est, pour l’heure, provisoire. Le bilan sera réellement clos le 30 septembre 2022 : une année avalanche débutant en effet le 1er octobre de l’année N et se terminant au 30 septembre de l’année N+1. Les mois d’été réservent parfois quelques épisodes météorologiques « hivernaux » à l’origine d’accidents mortels sur les hauts massifs alpins (Mont-Blanc, Vanoise, Écrins). Le dôme de neige des Écrins avait ainsi connu un accident mortel le 15 septembre 2015 (7 décès), tout comme le mont Maudit le 12 juillet 2012 (9 décès).

Les facteurs explicatifs de ce bilan

C’est un constat : années après années, les hivers se suivent sans se ressembler. 12 décès en 2019-2020, 40 en 2020-2021 et sans doute 9 en 2021-2022. Ces grandes variations interannuelles sont essentiellement le fait de deux facteurs :

– la stabilité globale du manteau neigeux sur l’ensemble d’une saison et sur l’ensemble du territoire ;
– la fréquentation de la montagne non sécurisée au cours de la saison.

Ces deux éléments dépendent des conditions météorologiques rencontrées au cours de la saison, et notamment de la fréquence et de la longueur des épisodes perturbés, qui apportent de la neige, et des épisodes anticycloniques.

Typiquement, les années lors desquelles nous recensons le plus d’accidents sont celles pour lesquelles : l’hiver a débuté tôt, a vu une succession d’épisodes perturbés amenant de la neige jusqu’à moyenne ou basse altitude, et d’épisodes anticycloniques froids favorisant la création de couches fragiles persistantes, et ce sur l’ensemble des massifs français. L’hiver 2005-2006 est l’archétype de cette situation globale lors duquel nous avons recensé 167 accidents d’avalanche, 50 aux conséquences mortelles pour un bilan de 57 décès. Ce type de situation favorise donc une instabilité « globale » sur la saison, mais également une fréquentation importante de la montagne non sécurisée tout au long de l’hiver, sur l’ensemble de nos massifs, et, mécaniquement, une exposition au danger d’avalanche plus grande de la population de skieurs, en randonnée comme en hors-piste.

Pour revenir à l’hiver qui vient de s’écouler : celui-ci a été relativement court, le cumul des précipitations sur les Alpes a été plutôt inférieur aux moyennes, voire très inférieur sur les Alpes du sud et, de longues périodes anticycloniques se sont succédé. De fait, les périodes d’instabilité ont été réduites en fréquence et en durée, conduisant à une activité avalancheuse accidentelle tout aussi réduite.

Les activités les plus touchées

Cette saison ne déroge pas à ce que nous constatons habituellement. Cet hiver, nous avons ainsi recensé :

– 3 décès en randonnée ;
– 3 décès en hors-piste ;
– 1 décès en alpinisme ;
– 2 décès lors d’un bivouac en altitude.

Les accidents d’avalanche touchent essentiellement des activités qui se déroulent hors domaines sécurisés. Les randonneurs à ski (44,9 % des décès entre 1981 et 2021), les skieurs hors-piste (34,1 %) et les alpinistes (14,9 %) paient le plus lourd tribut sur les 40 dernières années. La part des accidents d’avalanche sur les domaines sécurisés, que ce soit sur les pistes de ski ouvertes, les voies de communication ou les zones d’habitation, s’est amoindrie au fil des années pour ne représenter, sur la dernière décennie, que 2,6 % des décès.

Évaluer l’impact réel du travail global de prévention

Passer de 40 décès l’année dernière à 9 décès cette saison n’est certainement pas le fait de changements comportementaux drastiques des skieurs, liés au travail de prévention des acteurs de la montagne. Mais ces variations annuelles sont un trompe-l’œil en ce qui concerne les résultats de la prévention. Pour juger de l’impact de cette démarche de longue haleine, ces chiffres annuels pris séparément ne suffisent pas. Il est nécessaire de les agréger afin d’avoir une vision plus large dans le temps et de dégager des tendances. Ce travail permet de rendre compte de l’efficacité des messages portés depuis de nombreuses années. Ainsi, la comparaison des moyennes décennales révèle une baisse du nombre moyen d’accidents mortels et de décès par avalanche en France sur la dernière décennie (voir infographie ci-dessus). Cette moyenne tombe même à 25,6 décès par an sur la décennie 2011-2021, soit entre 15 et 20 % de décès en moins comparé aux trois décennies précédentes. Ajoutons à cela qu’il s’agit de chiffres absolus. Or, on devine bien qu’entre 1981 et 2021, la fréquentation de la montagne, en randonnée comme en hors-piste, a littéralement explosé.

Il est difficile de lier ce travail de prévention, global, au maintien ou à la baisse du nombre de décès sur les dernières décennies, faute d’avoir eu la capacité d’étudier cet impact au cours du temps ou même de corréler fréquentation et accidentologie. Cette baisse pourrait peut-être même être mise sur le compte du changement climatique.

Cependant, certaines données laissent à penser que les messages de prévention ont un impact sur le bilan annuel.

Si l’on prend par exemple le taux d’équipement en détecteur de victime d’avalanche (DVA), des victimes ensevelies par une avalanche, on constate que celui-ci a fortement cru au fil du temps, que ce soit en randonnée ou en hors-piste.

Ainsi, en randonnée, si seulement 43 % des ensevelis portaient un DVA en 1981-1991, ils étaient 85 % sur la décennie 2011-2021. De la même manière, en hors-piste, ce taux d’équipement est passé de 10 % à 62 % pour les mêmes périodes. Le message « Équipez-vous », martelé depuis la mise sur le marché des premiers DVA, est entendu et porte ses fruits. Les données montrent dans le même temps que la proportion de victimes ensevelies retrouvées grâce au DVA, par leurs compagnons en randonnée ou par les pisteurs-secouristes en hors-piste, s’est accrue au fil des décennies.

On peut sans doute estimer que les gains de temps dans le secours aux ensevelis, obtenus in fine grâce au travail de sensibilisation au port du DVA et la formation à son utilisation, année après année, ont permis de sauver des vies. 

Frédéric jarry DR
Frédéric jarry - association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches (ANENA)
 
Formateur, conférencier, en charge de la sensibilisation des scolaires, Frédéric Jarry, chargé de mission à l’ANENA, assure également la collecte et l’analyse des données relatives aux accidents d’avalanche en France.