Météo et dynamiques d’investissements en neige de culture

Cet article est issu d’un travail de thèse mené au Lessem (Laboratoire des écosystèmes et des sociétés en montagne) à l’INRAE. Il bénéficie d’un cofinancement du CDP Trajectories de l’Université Grenoble Alpes et de Météo-France.

Investissements en neige de culture et conditions d’enneigement : quels liens ?

Les données d’investissement que collecte Montagne Leaders sont précieuses pour l’étude des domaines skiables. L’enquête du magazine est unique, aussi bien dans le détail des données qu’elle regroupe que dans la durée de la chronique (plus de 20 ans). Sa valeur est reconnue au-delà du cercle des exploitants puisqu’elle est intégrée dans la statistique nationale du tourisme (Tableau de bord des investissements touristiques d’Atout France) et utilisée dans des travaux de recherche 1.  Alors que les saisons se succèdent et que les mémoires risquent de se perdre, cette donnée contribue à l’analyse des trajectoires des domaines skiables en matière de neige de culture.

L’investissement, nerf de la guerre des domaines skiables

Les investissements reflètent les choix stratégiques qu’opèrent les exploitants. S’intéresser aux investissements a d’autant plus d’intérêt que l’exploitation des remontées mécaniques est une activité touristique à très forte intensité capitalistique. En effet, l’exploitation d’un domaine skiable repose sur de fortes immobilisations compte tenu de la part relativement faible de la masse salariale de l’entreprise. Ce capital est renouvelé par les investissements soutenus des exploitants, destinés à maintenir l’attractivité des domaines skiables. Cette politique d’investissement est menée dans un contexte où l’exploitation des remontées mécaniques est une activité météo-dépendante, marquée par une forte variabilité d’une année à l’autre et les impacts du changement climatique. Pour les exploitants, la neige de culture est un des moyens de réduction de leur dépendance à l’aléa des précipitations neigeuses, caractérisées par leur forte variabilité d’une saison à l’autre dans une tendance baissière à basse et moyenne altitude. Il est communément admis que la succession des hivers peu enneigés à la fin des années 80 et au début des années 90 est à l’origine de l’essor de la neige de culture en France et en Europe. Une telle relation est-elle toujours valable, à savoir un déficit d’enneigement stimule-t-il l’investissement en neige de culture ?

Les conditions d’enneigement ont-elles une influence sur les investissements pour la production de neige de culture ?

Pour répondre à cette question, nous avons analysé les données d’investissement en neige de culture issues de l’enquête de Montagne Leaders et les avons comparées à des estimations de l’enneigement naturel damé dans les domaines skiables 2 pour la période 1997-2014. Notre analyse indique que la réponse est différente en fonction du type de station considéré. Pour les petites et moyennes stations, un faible enneigement conduit généralement l’année suivante à une hausse significative de leurs investissements en neige de culture. L’expérience d’un « mauvais hiver » semble être le déclencheur d’un projet d’investissement dans une logique de réaction. On peut cependant supposer qu’au-delà d’une certaine fréquence, la récurrence des « mauvais hivers » peut mettre en péril la capacité d’investissement des opérateurs.

A contrario, nous n’observons pas de lien significatif entre enneigement et investissements pour les plus grandes stations. Cela s’explique possiblement par une plus grande capacité à piloter leurs investissements à moyen terme qui leur permet d’adopter des outils de gestion. 

Dès lors, pour les plus grandes stations, une logique d’anticipation semble prévaloir sur celle de réaction. Par ailleurs, cette capacité d’anticipation permet à ces stations de bénéficier avec une plus grande réactivité des programmes de soutien à l’investissement. L’allocation des subventions du Plan neige de la Région AuRA (voir Figure) montre cette capacité des plus grandes stations à saisir les opportunités de financement et à se faire entendre des pouvoirs publics quand bien même ce sont celles qui ont déjà le plus investi dans la neige de culture.

Différentes trajectoires d’équipement

Au-delà des conditions d’enneigement, des différences dans l’historique d’équipement en neige de culture s’observent entre les domaines skiables. D’un côté, on trouve les domaines pionniers, comme ceux équipés pour les épreuves des Jeux olympiques de 1992. Bien qu’initiateurs, ils ont cependant réinvesti afin de moderniser et redimensionner leurs réseaux deux décennies plus tard, les besoins et les technologies ayant évolué. De l’autre, se distinguent les stations qui ont pris le virage de la neige de culture au tournant des années 2000. Leurs équipements plus tardifs s’expliquent par des résistances initiales à l’adoption de la neige de culture ou à des contraintes liées au site d’implantation, comme l’accès à l’eau. 

Cette deuxième vague d’équipement a opéré un rattrapage technologique bénéficiant à la fois des progrès technologiques des fabricants et des retours d’expérience des domaines pionniers. Enfin, les performances des résultats d’exploitation et les échéances des contrats de délégation influencent aussi les stratégies d’équipement en neige de culture.

En définitive, l’investissement dans la neige de culture renforce la différenciation entre les stations, d’un côté celles où le produit ski est central, de l’autre, celles où l’offre touristique est davantage diversifiée. La neige de culture permet de pérenniser la rentabilité de l’exploitation d’un domaine skiable, mais contribue également à rigidifier, par des investissements très spécialisés, le socle d’actifs de l’exploitant.

Lucas Berard-Chenu, Université Grenoble Alpes – INRAE – Météo-France

Article écrit en collaboration avec Hugues François – INRAE
Emmanuelle George – INRAE 
Samuel Morin – Centre d’Étude de la Neige – CNRM, CNRS- Météo-France