En ces temps contrariés par la situation sanitaire, nous sommes tous conscients que l’économie va connaître des soubresauts. Dans le même temps, l’histoire nous démontre que « demain se construit aujourd’hui ». Les partenariats entre les personnes publiques et les entreprises privées devraient être une réponse aux défis que nous devrons relever, et en particulier, dans nos régions de montagne.
Ces « partenariats public/privé » permettent aux personnes publiques d’imaginer, d’entreprendre des projets, propices à dynamiser l’économie, développer certains secteurs comme le tourisme et par là même l’emploi. Et ces partenariats offrent aux personnes privées des possibilités d’investissement dans des lieux d’exception. Le cadre juridique envisageable fait appel à des notions de « marché public », concession, « autorisation domaniale temporaire », et autres pour lesquelles les critères de qualification peuvent être parfois difficiles à cerner avec précision. Ici, nous prenons le parti de présenter une des modalités d’occupation du domaine public d’une personne publique : le bail emphytéotique administratif.
Rappelons qu’une personne publique détient des biens immobiliers dépendant de son patrimoine privé (lequel peut être soumis aux règles de droit civil « habituelles ») d’une part, et de son patrimoine public d’autre part. Le domaine public est confronté à deux exigences distinctes, qui, sans être contradictoires, sont néanmoins difficiles à concilier : sa protection et sa valorisation.
Inaliénabilité du domaine public
Le principe d’inaliénabilité du domaine public est un principe constant, élaboré pour protéger le domaine public. L’inaliénabilité du domaine public signifie que celui-ci ne peut faire l’objet d’un transfert de propriété : vente, prise de garantie hypothécaire permettant au preneur (partenaire privé) d’emprunter, bail à long terme donnant des droits réels, échange, expropriation. Cela renvoie à la procédure de déclassement dont on a entendu si souvent parler. La sortie du bien du domaine public doit faire l’objet d’un acte formel de déclassement, lequel n’est légalement possible que si, matériellement, l’affectation du bien à l’utilité publique ou à l’usage direct du public a effectivement cessé.
Pourtant, le recours au mécanisme du bail emphytéotique de droit commun présageait un grand intérêt pour les personnes publiques comme instrument d’exploitation économique du domaine public.
Répondant à cette attente, le législateur a d’abord institué en 1988 le bail emphytéotique administratif pour les collectivités territoriales (art. 13 de la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988).
Aux termes de l’alinéa 1er de l’article L.1311-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), modifié par l’ordonnance du 26 novembre 2018, le bail emphytéotique administratif est ainsi un contrat administratif qui permet aux propriétaires publics de concéder l’occupation d’une dépendance de leur domaine public ou privé pendant une longue durée (de 18 à 99 ans) et de conférer des droits réels à l’occupant, ce qui est de nature à favoriser les investissements privés, et notamment le financement privé d’ouvrages publics, ainsi que la valorisation économique du domaine.
La possibilité de recourir au BEA est ainsi ouverte aux régions, aux départements, aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale, et aux syndicats mixtes.
Par la suite, le BEA a connu une extension à d’autres personnes publiques pour des opérations spécifiques : l’État s’est vu reconnaître la possibilité de conclure des BEA « logements sociaux » ou « BEA HLM », puis le « BEA valorisation » (portant sur la restauration, la mise en valeur ou la réparation d’un bien immobilier de l’Etat).
Une des questions principales pour une personne publique, un investisseur (et le rédacteur) est de savoir si le projet peut faire l’objet d’un BEA ou s’il doit être qualifié de « marché public » avec les contraintes inhérentes.
Depuis l’ordonnance du 29 janvier 2016, relative à la commande publique, et du décret du 3 décembre 2018, applicable depuis juillet 2019, si le BEA sur le domaine public doit relever d’une opération d’intérêt général, il ne peut plus être adossé à une délégation de service public.
Si la commune confie à un opérateur privé la construction d’un équipement sportif et que la gestion est laissée librement à l’opérateur, à ses risques et périls, sans aucune aide de la personne publique, le BEA est envisageable.
Si la commune s’immisce dans la gestion de l’équipement, ne serait-ce qu’en imposant une politique tarifaire, des horaires d’ouverture, ou l’accueil à une clientèle particulière, la rédaction d’un BEA ne peut plus être envisagé. Un tel contrat doit être qualifié de « marché public », soumis à de nombreuses contraintes, notamment celles d’une procédure de publicité et de sélection lorsque l’occupation du domaine public permet d’exercer une activité économique concurrentielle.
Droits et obligations du preneur d’un BEA
– Le preneur bénéficie désormais d’un assouplissement de la conception de la protection du domaine public. Dans le BEA « collectivités territoriales » et dans le BEA « logement social » de l’État, afin d’apporter une garantie à l’organisme financier qui finance les emprunts du preneur, ce dernier peut constituer une hypothèque sur le droit réel que lui confère le bail, mais « uniquement pour la garantie des emprunts contractés par le preneur en vue de financer la réalisation ou l’amélioration des ouvrages situés sur le bien loué ».
– Cession du BEA autorisée au preneur en cas de nécessité. Dans toutes les formes de BEA, la cession est autorisée, ce qui constitue à l’origine l’un des avantages de ce contrat au regard des conventions domaniales simples.
Deux éléments sont à retenir : la nécessité de l’accord de la personne publique à la cession et la pleine subrogation du cessionnaire dans les droits et obligations du preneur.
Pouvoirs de l’autorité publique responsable du domaine public
– À l’expiration du bail, la propriété des ouvrages est transférée au bailleur automatiquement et sans indemnité.
– La personne publique a le droit de résilier unilatéralement le contrat en l’absence de toute faute de son cocontractant et a la faculté de modifier unilatéralement les clauses du contrat.
Me Muriel Rabeyrolles, notaire aux Belleville
Au point de vue fiscal 1] TVA En principe les baux emphytéotiques administratifs sont exonérés de TVA (art. 261. D. 1er bis du CGI). En revanche, ces baux peuvent être soumis à TVA sur option. Contrairement à l’idée commune, il peut être judicieux de vouloir être soumis à un impôt. Tout investisseur privé, soumis à l’obligation de reverser la TVA, a intérêt à être soumis à la TVA, pour pouvoir déduire la TVA versée sur celle facturée. À défaut, aucune déduction n’est possible et la TVA récoltée doit être reversée en intégralité. L’intérêt de l’option serait de permettre à la collectivité de déduire la TVA qu’elle aura elle-même supportée en amont (éventuellement sur l’acquisition des bâtiments). 2] Taxe de publicité foncière Les baux emphytéotiques administratifs conclus par les collectivités territoriales sont exonérés de TPF et soumis au seul droit fixe de 125 € (art. 1048 ter du CGI). La contribution de sécurité immobilière CSI (0.10 %) doit être assise sur le montant cumulé des loyers stipulé augmenté de la valeur résiduelle des constructions à édifier ou si elle est supérieure sur la valeur locative réelle du terrain loué pour toute la durée de location.