Nommé secrétaire d’État au mois de juillet dernier, Joël Giraud a durant toute sa carrière politique, défendu les territoires de montagne. Sa vision de la montagne, la 5G, la mobilité, le tourisme à l’heure du Covid-19, il aborde avec franchise les enjeux actuels de la montagne.
Quelle vision de la ruralité défendez-vous pour la montagne ?
La ruralité n’est pas un bloc homogène. Les problématiques ne sont pas les mêmes partout. L’action de l’État doit s’adapter aux spécificités de chaque territoire. C’est pourquoi, même pour la montagne, je parlerais davantage « des » ruralités que de « la » ruralité : la reconnaissance de sa pluralité me semble en effet essentielle. Notre premier objectif est de permettre à chaque citoyen de s’épanouir dans sa vie de famille, dans ses études, dans son travail et dans ses loisirs dans les mêmes conditions quel que soit son lieu de résidence. Mais notre ambition va plus loin. Il ne s’agit pas seulement de corriger des inégalités, mais bien d’accompagner une véritable reconnaissance de la ruralité en phase avec les défis contemporains, et donc de ne plus penser la ruralité uniquement comme un problème à traiter ou comme un défi des politiques d’aménagement du territoire. Mais, au contraire, de la considérer comme une solution, une partie de la réponse aux bouleversements en cours. Les zones rurales comme les territoires de montagne ont en effet en partage d’être des réserves d’externalités positives dont elles font bénéficier la collectivité nationale. Elles doivent être reconnues, mesurées et valorisées. Les territoires de montagne, qui ont l’habitude de compter sur leurs propres forces, savent faire preuve de résilience, de persévérance et de capacité d’adaptation. J’ai d’ailleurs observé que pour cette raison les élus et professionnels de la montagne déploient des trésors d’inventivité, d’ingéniosité. Le rôle de l’État doit donc principalement être d’accompagner et de faciliter leurs propres initiatives. Accompagner en mettant à disposition des collectivités de l’ingénierie, par exemple, le financement de prestations de cabinet d’étude et la mise à disposition de volontaires territoriaux comme appui. Faciliter en adaptant le cadre juridique national et sa mise en œuvre comme le prévoient les deux lois Montagne de 1985 et 2016, au travers d’un droit à l’adaptation des dispositions de portée générale et en renforçant le pouvoir de différenciation. Ce sera également l’objet du projet de loi déconcentration, différenciation et décentralisation.
À travers votre nouvelle fonction, comment pouvez-vous œuvrer pour l’attractivité de la montagne ?
Les territoires montagneux sont confrontés à de grandes transitions, climatique et environnementale qui les affectent avec une acuité significative et conduisent notamment à repenser l’offre touristique. C’est pour cette raison que nous avons lancé, le mois dernier, lors du congrès de l’Association nationale des élus de la montagne, un programme national dédié à la montagne. Grâce à celui-ci, nous allons pouvoir aider les collectivités à s’engager de manière déterminée dans la conception d’une offre touristique durable et responsable en leur apportant différentes facilités : principalement de l’ingénierie, mais aussi via les grands opérateurs publics (Banque des territoires, Ademe, Cerema…), l’accès à l’expertise, l’innovation, des financements et des prêts et garanties.
Par ailleurs, l’attractivité de ces territoires requiert leur accessibilité (de l’extérieur et en leur sein) et donc le maintien d’une desserte ferroviaire et d’infrastructures routières, mais aussi le maintien de l’accès aux services publics d’éducation et de santé. Elle suppose également le maintien de l’emploi et donc d’activités économiques. Pour cela, le pastoralisme doit être soutenu, comme l’activité forestière, autre ressource importante de ces territoires et l’État peut y contribuer.
Vous êtes un défenseur de la 5G, mais certains territoires de montagne n’ont encore ni la 3G et encore moins la 4G. Ne faudrait-il pas déployer un réseau pour tout le monde avant d’envisager la 5G ?
Bien au contraire, il faut s’engager dans le déploiement de la 5G et ne surtout pas reproduire l’erreur qui a pu être commise dans le passé de considérer que les territoires ruraux ne méritaient pas les mêmes infrastructures. On constate, en effet, que le retard pris est difficile à rattraper si l’on néglige certains territoires lors du déploiement d’une nouvelle technologie.
Les territoires ruraux et les territoires de montagne ne seront donc pas laissés sur le bord du chemin dans le déploiement de la 5G. Pour autant, nous poursuivons l’extension du réseau de la 4G avant l’arrivée de la 5G. Les programmes New Deal Mobile et le plan très haut débit mis en œuvre par la direction du numérique de l’ANCT portent actuellement leurs fruits. 2 100 sites mobiles 4G vont ainsi être mis en service au fil des mois dans les deux prochaines années. Cela est parfaitement complémentaire avec notre souhait de déployer à terme la 5G. D’autre part, la 4G va être renforcée sur tout le territoire, notamment à travers la 4G+.
Et ce n’est pas tout. Nous avons également souhaité que des territoires de montagnes puissent disposer de la 5G à très brève échéance dans le cadre d’une expérimentation afin de pouvoir explorer les usages, promouvoir la compétitivité de ces territoires, faire de la pédagogie, et aider à l’effort de conviction. À l’initiative de l’ANEM, un partenariat avec Orange va être conclu en ce sens avec une zone de moyenne montagne et une station.
Quels sont les leviers pour favoriser une mobilité douce en montagne et limiter l’impact carbone ?
J’ai milité longuement pour le maintien des trains de nuit. Et je suis heureux d’avoir été entendu puisque, sous l’impulsion du président de la République, non seulement les lignes existantes seront maintenues, mais en plus le plan de relance prévoit d’en rouvrir. Vous avez raison de souligner l’impact carbone de certains modes de mobilité. L’ association des maires des stations de montagne et Domaines skiables de France ont réalisé des bilans carbone des stations faisant apparaître que le premier poste d’émission provenait des transports pour accéder à la station. Je me félicite des engagements récents, formalisés par la charte de DSF, pour diminuer les émissions induites par leurs activités, tels que le développement de moteurs à hydrogène pour équiper progressivement et d’ici 2037 l’ensemble des dameuses en remplacement du diesel et le développement de l’éco-conduite des matériels. J’observe avec intérêt que l’ANMSM plaide pour aller plus loin encore, et accélérer les plans de mobilités dites vertes dans les zones de montagnes, avec le renforcement de l’offre ferroviaire, couplée à un dispositif de bus écologiques, en limitant les ruptures de charges. Cette mobilisation permettrait de renforcer le cercle vertueux engagé par les stations de montagne. Elles ont déjà développé plusieurs offres de mobilité écologique ambitieuses, dont, tout récemment, la mise en place de navettes autonomes électriques.
Comment l’économie de la montagne peut-elle survivre à un nouvel hiver chaotique ?
Le Comité interministériel du tourisme du 12 octobre a adopté une série de mesures complémentaires aux mesures d’urgence déjà prises lors du premier confinement. Seul le contrôle de l’épidémie permettra à terme une reprise totale et pérenne de l’activité. Les stations ont besoin du maximum de prévisibilité pour organiser l’accueil des touristes.
Elles doivent pouvoir donc anticiper les mesures sanitaires. Cette demande a bien été intégrée par le gouvernement qui, à leur demande, a nommé le préfet de Savoie comme coordonnateur pour l’ensemble des massifs. Elles disposent ainsi d’un représentant de l’État susceptible de communiquer les décisions du gouvernement auprès des territoires et de faire remonter leurs préoccupations.
Des mesures sociales seront également nécessaires et la prolongation du bénéfice du régime de l’activité partielle au profit des régies donnera plus de flexibilités aux stations concernées. 50 millions d’euros sont, par ailleurs, prévus dans le plan de relance pour abonder un « Fonds tourisme durable » dans le but d’accompagner la transition vers le développement durable des hôtels et restaurants en zones rurales.
La question de la ressource en eau est centrale dans l’activité des domaines skiables. Comment conjuguer les besoins des exploitants et la disponibilité de l’eau ?
Les têtes de bassin sont des zones sensibles comme a pu le rappeler Martial Saddier, président du comité de bassin Rhône Méditerranée lors du congrès de Domaines skiables de France. Il serait donc faux de considérer que la ressource en eau pourra satisfaire les besoins des domaines skiables dans un contexte de réchauffement climatique.
Il est dès lors important de croiser les perspectives d’enneigement, l’état de la ressource et les différents besoins (dont besoins des milieux) dans le cadre d’une gouvernance locale. Les Commissions locales de l’eau offrent, lorsqu’elles existent, le cadre adapté à ces échanges.
Les démarches « Projet de territoire pour la gestion de l’eau » offrent également un cadre méthodologique et des outils propices à un traitement équilibré de ce sujet sensible.
Un programme montagne Lors du congrès de l’ANEM mi-octobre, un programme montagne visant à répondre aux spécificités de chaque massif a été lancé. Nos territoires ruraux de façon générale, et plus spécifiquement nos territoires de montagne, sont à la croisée des chemins. Ils doivent faire face à de nombreuses contraintes dont certaines sont « naturelles et permanentes » d’autres sont plus « humaines et temporaires », mais chacune influe sur leur destin ; ils sont notamment en première ligne face aux conséquences du réchauffement climatique tant en termes économiques qu’en termes de risques. Mais nos territoires ont aussi de nombreux atouts à valoriser. Aujourd’hui, une gestion plus économe et toujours plus attentive des ressources permettrait aussi de faire mieux comprendre l’immense apport en termes d’aménités positives qu’offre la montagne à notre pays. Je plaide donc pour une montagne agile et durable ! Cela signifie une montagne qui a les moyens de son « autodéveloppement » pour reprendre les mots des pères fondateurs de la Loi Montagne de 1985. Ces moyens se composent notamment des patrimoines naturels et culturels que j’ai cités et dont disposent ces territoires. Pour autant, c’est le rôle de l’État que d’aider à obtenir l’ingénierie qui leur permettra d’innover, de se diversifier, de se reconvertir, de trouver d’autres débouchés, de se réinventer. C’est bien là le rôle du programme montagne que nous allons définir dans un processus le plus participatif possible en mobilisant les acteurs de la montagne tant au niveau national que dans chaque massif. Ce programme n’est pas une action centralisée et descendante ; il veut être une émanation du terrain et il a pour objectif de répondre aux spécificités de chaque vallée, de chaque plateau, de chaque massif. C’est la montagne qui est porteuse de son destin et c’est aux montagnards qu’il convient de confier le rôle de « premiers de cordée ».