DSP : à quelles conditions peut-on signer un avenant de modifications ?

Les délégations de service public (DSP) appartenant à la grande catégorie des concessions, sont des contrats fréquemment employés sur les domaines skiables, les statistiques notamment contenues dans le Top 100 de Montagne leaders en attestent : 72 % (voir Montagne leaders n°275).

Ces contrats peuvent avoir une durée particulièrement longue, surtout lorsqu’il s’agit d’une concession de service public entraînant la réalisation d’investissements par l’exploitant, au contraire de l’affermage. Or les conditions d’exploitation d’un domaine skiable évoluent en permanence, pour des raisons tenant au progrès technique, à la concurrence nationale ou internationale, à la volonté de faire évoluer son site touristique, ce que chaque acteur des domaines skiables connaît. 

La modification d’une DSP, intervenant en général par voie d’avenant, est libre pour autant que le droit de commande publique soit respecté : la liberté contractuelle peut être freinée par l’obligation de remettre en concurrence le contrat modifié par avenant. L’avenant est requalifié en nouveau contrat si la DSP est substantiellement modifiée. C’est ce que viennent de rappeler la Cour de justice Européenne dans un arrêt récent du 18 septembre 2019 (CJUE – 18 sept. 2019 – aff.  C-526/17) et le Conseil d’Etat en 2018 (CE – 9 mars 2018 – n° 409972). L’enjeu de cette contribution est de mieux cerner les conditions juridiques dans lesquelles l’avenant peut être signé entre les parties sans mise en concurrence. 

La notion essentielle de modification substantielle

Premièrement, le Code de la commande publique exclut la mise en concurrence lorsque l’on passe une DSP dans une relation dite « in house », l’autorité organisatrice ayant une relation avec son exploitant qui exclut tout autre concurrent. L’exemple le plus connu concerne la signature d’une DSP avec une SPL (société publique locale). Dans ce type d’hypothèse, la DSP est signée de gré à gré, il en sera de même pour ses avenants.  Pour ce qui concerne la relation d’une autorité organisatrice avec une société d’économie mixte (SEM), le débat est plus ouvert, car il y a une controverse sur la question de savoir si la SEM peut également échapper à la mise en concurrence à l’instar d’une SPL. L’auteur de ces lignes est convaincu que, au cas par cas, tel devrait être le cas. 

Deuxièmement, la mise en concurrence de l’avenant dépendra d’une condition de fond essentielle : une modification par avenant ne doit pas être substantielle pour pouvoir échapper à une remise en concurrence. Le Conseil d’Etat l’a également récemment rappelé en 2018 (CE, 9 mars 2018, n° 409972, Cie des passeurs du Mont-Saint-Michel) : pour le juge, les parties à une DSP ne peuvent, par simple avenant, apporter des modifications substantielles.

C’est l’article R. 3135-1 du Code de la commande publique qui encadre ces conditions de modifications d’une DSP sans nouvelle procédure de mise en concurrence, dans le sillage de cette jurisprudence :

• Premier cas de figure, apparemment simple, l’article R. 3135-1 autorise toute modification si elle était stipulée dans le contrat, et quel que soit son montant. Cette condition n’est pas si aisée à satisfaire, car cette clause de réexamen doit être précise dès l’origine pour pouvoir être déclenchée sans mise en concurrence. Si la clause de réexamen est trop vague, les parties ne pourront échapper à la mise en concurrence.  

• Deuxième cas, le changement de délégataire (R. 3135-6) intervient sans mise en concurrence puisque cette modification du cocontractant ne change pas fondamentalement le contenu du contrat. 

• Troisième cas, des nouveaux travaux devenus nécessaires dans des circonstances imprévues sont permis par l’article R. 3135-5, à condition bien entendu de montrer que le caractère imprévisible existe véritablement et qu’il ne constitue pas un prétexte. La jurisprudence veille à contrôler ce type de cas de figure. 

• Quatrième cas, dans l’hypothèse où les parties constatent que des travaux supplémentaires deviennent nécessaires sans avoir été prévus originellement, l’article R. 3135- 2 autorise un avenant sans mise en concurrence. Toutefois, deux conditions cumulatives doivent être remplies : il faut démontrer qu’il était impossible de changer d’exploitant pour des raisons économiques ou techniques, et que ce changement de délégataire entraînerait une augmentation substantielle des coûts d’exploitation. Si les parties ont les moyens de justifier de ces deux critères, elles pourront passer l’avenant sans mise en concurrence.  

Le seuil des 10 % du montant originel de la concession

En ce qui concerne les deux cas suivants, ils reposent essentiellement sur la notion de modification substantielle, et le montant des modifications n’est pas plafonné puisqu’en matière de remontées mécaniques, les autorités organisatrices sont le plus souvent entités adjudicatrices si bien que l’article R. 3135-3 ne leur impose pas le plafond de 50 % du montant de la concession, cet avantage pour les opérateurs de réseaux est manifeste. 

• Le premier, plus simple, consiste à démontrer que la modification prévue est évaluée à un montant inférieur à 10 % du montant originel de la concession, et qu’elle ne dépasse pas les seuils européens (5 548 000 €). Dans ce cas, l’article R. 3135-8 permet la signature de l’avenant sans mise en concurrence. Ce cas de figure est très fréquemment rencontré et il constitue un véritable atout pour les parties puisque cette modification peut être répétée et que, pour les plus grosses concessions, le montant de 10 % est relativement modique. 

• Le dernier cas de figure concerne l’hypothèse où, en dépassant 10 % du montant de la concession, la modification n’est tout de même pas substantielle (R. 3135-7). Cet article indique que la modification est substantielle si elle avait permis d’attirer plus de candidats ou de soumissionnaires lors de la procédure de passation originelle ; de même, si elle modifie l’équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire ou si elle étend considérablement le champ d’application de la concession.

Ces différentes hypothèses sont facilitatrices pour faire évoluer la DSP. Il restera toutefois à veiller à mettre à jour le contrat modifié, et notamment à modifier en conséquence le programme prévisionnel d’investissement lorsqu’il existe (PPI) et l’inventaire des biens de retour et des biens de reprise afin que, au terme du contrat, la remise des biens soit facilitée.

Applications récentes
 Validation d’une DSP modifiant le trajet des usagers,
l’accès au site, la grille tarifaire et le fonctionnement du service de navettes (CE – 09/03/2018 – n°409972). Validation d’une subvention d’investissement passant de 9 987 056 € à 34 381 629 €, non substantielle au regard du montant total des investissements initialement fixé à la somme de 193 132 000 € (CAA Marseille – 13/01/2020 – n°17MA03310).Validation d’une augmentation des investissements à la charge du délégataire de 146 à 302 M€ (CAA Bordeaux – 18/12/2018 – n°16BX02303). Censure de la prorogation de 18 ans de la durée d’exploitation d’une DSP originellement fixée à 35 ans (CJUE – 18/09/2019 – aff. C-526/17). 

Grégory Mollion, avocat au Barreau de Grenoble et maître de conférences en droit public