Accidents à proximité des pistes : quelles responsabilités ?

Les accidents graves provoqués par le heurt d’obstacles en bordure de piste posent la question d’une sécurité particulière. L’expérience des pisteurs secouristes sur le terrain est essentielle pour analyser l’existence ou non d’un danger excessif qu’il convient de supprimer ou à défaut de signaler. La jurisprudence reflète bien la diversité des situations.

 1 – Barrière en bois et piquets soutenant le filet de protection : 

La vitesse aggrave tout : cette expression populaire trouve largement à s’appliquer dans cet accident survenu pourtant sur une piste classée rouge, et qui a entraîné une victime à heurter violemment des barrières à neige en bois, longeant l’extérieur d’une piste. Les conséquences ont été très sérieuses : fracture fermée de la base du crâne, fracture fermée du plancher de l’orbite côté gauche, traumatisme crânien…

L’argumentation principale de la victime consistait à soutenir que l’obligation de sécurité de l’exploitant des pistes contraignait celui-ci à prémunir les usagers de tout danger à caractère anormal, et que la barrière en bois rigide, épaisse, n’était ni protégée ni munie d’un filet de protection qui aurait dû être implanté le long de la piste, caractérisant ainsi une faute en lien direct avec l’accident. Au surplus, la victime évoquait la présence de verglas le jour de l’accident.

Rompus à une analyse factuelle précise dans ce type de dossier, les magistrats albertvillois rappelaient tout d’abord les principes fondamentaux : l’obligation de sécurité pesant sur l’exploitant est une obligation de moyens, dès lors que le skieur a un rôle actif – au regard des risques inhérents à l’activité de descente à ski – et qu’il doit, dès lors, se prémunir personnellement des dangers ordinaires, en faisant preuve de prudence notamment en conservant la maîtrise de sa vitesse et de sa trajectoire.

Puis, les conditions de circulation sur pistes sont analysées : fluidité, visibilité (temps clair et ensoleillé, ciel dégagé, météo très favorable) permettant à chaque skieur d’identifier la présence d’une barrière en bois.

De surcroît, la piste rouge empruntée comportait, à cet endroit précis, une large ligne droite avec un faible dénivelé. Il s’agissait en outre de vérifier si le parcours sur neige comportait des difficultés techniques particulières, à l’endroit de la chute. Le rapport d’enquête des CRS des Alpes d’Albertville ne permettait pas de retenir l’existence d’une plaque de glace qui aurait été à l’origine de la chute, de sorte que cette argumentation ne pouvait être valablement retenue.

La barrière était-elle un obstacle anormal, un danger excessif qui nécessitait qu’elle soit spécialement protégée ?

En l’absence de danger précis, aucune réglementation n’imposait à l’exploitant de mettre en place un type d’équipement particulier. C’est en outre seulement lorsque le caractère « excessif » du danger est relevé qu’une protection et/ou une signalisation s’impose. Au vu des photographies et à la lecture des témoignages du rapport d’enquête des CRS des Alpes d’Albertville, il apparaissait en l’espèce que l’aménagement réalisé ne constituait pas un élément de dangerosité sur la portion de piste sur laquelle est survenu l’accident, la barrière à neige étant normalement et visiblement implantée en bordure extrême d’une large piste.

De plus, la victime avait effectué plusieurs descentes avant l’accident et connaissait parfaitement la station pour la fréquenter depuis plus de dix ans. L’origine de la chute provenait d’une perte de contrôle des skis conduisant à sa déstabilisation ne lui permettant pas de finir son virage : aucune faute ne pouvait donc être relevée à l’encontre du service des pistes.

(Tribunal de Grande Instance d’Albertville – 4 avril 2017)

2 – Heurt contre un arbre situé en dehors de la piste, mais à proximité de celle-ci : 

« En bordure de piste, à proximité de celle-ci, en dehors de la piste… » : toutes ces notions que l’on retrouve au fil des décisions sont bien approximatives, et sont une source d’incertitudes pour les professionnels chargés de sécuriser les pistes.

En effet, pour le service des pistes – géré directement par la commune, ou par le biais d’une régie autonome ou enfin dans le cas d’une délégation de service public – il va falloir déterminer l’existence d’un danger excessif à proximité de la piste. La protection de telle barrière, ou de tel angle de bâtiment, attire plus particulièrement l’attention, dès lors qu’il s’agit d’un obstacle éventuel né de la « main de l’homme ».

En revanche, comment gérer la situation d’un arbre situé en dehors de la piste balisée, mais « à proximité de celle-ci ».

Par leur analyse, les juges grenoblois fournissent une grille de lecture intéressante, que l’on peut schématiser de la manière suivante pour déterminer les paramètres à prendre en compte dans la décision de protection ou d’information :

• 1 – déclivité et niveau de la piste (bleue, rouge, noire…) ;

• 2 – visibilité de l’obstacle ;

• 3 – jalonnage mis en place ;

• 4 – signalisation de la trajectoire ;

• 5 – existence d’un danger anormal nécessitant une protection.

L’observation très précise de chacun de ces points d’analyse a conduit la juridiction au rejet de la responsabilité contractuelle de l’exploitant chargé de la sécurité sur les pistes (désormais au visa de l’article 1231 – 1 du Code civil), dès lors que l’obstacle naturel – un arbre – était situé à l’écart des trajectoires prévisibles des skieurs. Cependant, deux éléments complémentaires méritent d’être soulignés au regard de cette décision. Tout d’abord, l’absence de dispositions réglementaires prescrivant la mise en place d’une protection particulière des obstacles naturels situés en dehors de la piste balisée et sécurisée. Ensuite, la recherche de la faute : l’existence et la preuve que l’arbre percuté présentait un danger particulier, ne peuvent se déduire du renforcement de la sécurité, postérieurement à l’accident. Sur cette approche, cette décision a le mérite de souligner l’effort constant d’améliorer la sécurité : en conséquence, si postérieurement à un accident, le service des pistes vient installer un matelas, des filets, une banderole, il ne peut s’agir en aucun cas d’une reconnaissance de responsabilité ou d’un aveu extrajudiciaire d’une quelconque faute.

Les magistrats de Grenoble le rappellent clairement : « ces mesures (sont) seulement le signe d’une volonté d’augmenter la sécurité des skieurs », écartant ainsi une argumentation fréquente à l’appui des demandes de reconnaissance de responsabilité du service des pistes.

(Tribunal de Grande Instance de Grenoble – 7 septembre 2017). 

Maurice Bodecher, avocat et bâtonnier du Barreau d’Albertville

Les spécificités de la jurisprudence en montagne 
 Bâtonnier du Barreau d’Albertville, Maître Maurice Bodecher est spécialisé en Droit du ski et de la montagne.
 Auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’univers montagne, il fait également partie de l’équipe rédactionnelle qui participe tous les deux ans au numéro spécial « Droit de la montagne », édité par le Journal des sociétés. Domaine skiable, hors piste, collisions, remontées mécaniques, avalanches, responsabilités : les thématiques de ce recueil de jurisprudence révèlent les spécificités de l’environnement montagne devant les juridictions, qu’elles soient administratives, civiles ou pénales.