Crise du coronavirus : une opportunité pour les stations de montagne françaises ?

Hiver 2019-2020 : bonne fréquentation, polémique et pandémie

Avec un faible enneigement naturel, un mois de janvier 2020 qui a été le plus chaud jamais enregistré dans le monde et un important phénomène de dénigrement de l’industrie du tourisme en montagne (« montagne bashing »), nous aurions pu nous attendre à une fréquentation en berne. Mais les clients n’ont pas pour autant renoncé à venir se ressourcer en montagne. La fréquentation, comme les niveaux de satisfaction, ont été au beau fixe presque tout l’hiver jusqu’à ce que la crise sanitaire du Covid-19 vienne jouer les trouble-fêtes en fin de saison et force les stations à fermer prématurément.

Alexandre Maulin, président de Domaines skiables de France, explique que pour l’exploitation des remontées mécaniques « nous sommes aux alentours d’une perte de chiffre d’affaires d’environ 15 % au niveau national, mais qui peut être très variable entre les stations de très haute altitude, qui ont une exploitation pendant tout le mois d’avril avec une très belle fréquentation, et les stations de plus basse altitude qui étaient sur le point de fermer. Les pertes vont donc de -1 à 2 % jusqu’à 25 % ». « L’avance confortable prise pendant les vacances de Noël et en février a servi d’amortisseur sur la fin de saison difficile. Mais c’est surtout les hébergeurs qui seront dans un premier temps les grands perdants de cette crise, car pour ceux qui proposent des avoirs, c’est autant de chiffre d’affaires qui ne pourra pas être fait l’année d’après. La saison estivale sera donc déterminante pour beaucoup d’entre eux pour essayer d’atténuer les pertes financières », poursuit Pascal Vie, directeur de Savoie Stations Ingénierie Touristique (SSIT).

Qu’est-ce qui va réellement changer dans les mois à venir ?

Il n’est pas simple d’anticiper en plein confinement les conséquences de cette crise internationale majeure. Bien malin qui saurait prévoir quand, et dans quelles conditions nous allons sortir de cette crise sanitaire, mais aussi économique et sociale. Nous avons à ce stade une visibilité limitée sur le changement de comportements des touristes dans les deux à six prochains mois. Si certains aiment (se) faire peur avec des discours construits sur un champ lexical guerrier, des images sensationnelles et des grands modèles de prévisions collapsologiques du futur, il est en fait urgent de faire preuve aujourd’hui de beaucoup d’humilité dans nos prévisions.

Sur le plan des dépenses de consommation, 65 % des Français affirment que le coronavirus « a ou aura » un impact sur les revenus de leur foyer et donc sur leur capacité à faire des dépenses une fois les mesures de confinement levées (Source  : Etude Kantar, Avril 2020). Ainsi, bien que la crise du coronavirus ait déjà des effets destructeurs à court terme sur l’industrie du tourisme, cet épisode pandémique – comme souvent les crises – peut aussi être considéré comme le point d’arrivée d’un état de vulnérabilité plutôt que le point de départ d’une période de déstabilisation. Il faut aussi éviter de considérer que les consommateurs vont changer toutes leurs habitudes. Certaines mutations seront profondes, mais l’intégralité du système n’est peut-être pas amenée à changer.

En réalité, cette crise du Covid-19 pousse les professionnels du tourisme à remettre en cause plus rapidement qu’ils ne l’auraient aimé leurs stratégies et leurs pratiques. Elle les force à ne pas seulement se cantonner à dresser le constat d’une succession de problématiques liées aux mouvements de population dans le cadre des activités de loisirs, mais à trouver des solutions efficaces et durables en matière de conservation du patrimoine naturel et culturel, de planification le plus en amont possible de la gestion des flux, de développement d’un tourisme plus inclusif des populations locales impliquant une co-création des habitants avec les visiteurs pour ne citer que quelques thématiques.

Chronologie de ré-engagement des destinations avec leurs différentes cibles

Et si l’industrie du tourisme en montagne était une partie de la solution au lieu d’être considérée comme une partie du problème ?

On nous martèle partout depuis plus d’un mois qu’il y aura « un avant et un après Covid-19 ». Si penser un redémarrage à l’identique serait l’erreur à ne pas commettre, cette crise mondiale n’est en réalité qu’un catalyseur de tendances et de signaux faibles que l’on observe depuis plus de cinq ans : un manque de confiance en l’avenir, un besoin de rassurance, de fluidité, d’espace, de sens, de déconnexion, de contemplation, de sobriété, de relations humaines authentiques et bienveillantes, d’utilité sociale, de solidarité accrue ou encore de relocalisation, une évolution de la hiérarchisation des priorités personnelles et professionnelles et de l’utilisation du temps disponible.

La mise en œuvre de ces tendances va donc simplement s’accélérer et s’amplifier par la mise en quarantaine d’une grande partie de la population mondiale… et c’est une très bonne nouvelle, car la montagne française a tous les atouts pour y faire face ! « Les grands espaces, l’air pur, la nature, la richesse de notre patrimoine, les produits du terroir approvisionnés en circuit-court sont autant de fondamentaux sur lesquels il nous faut capitaliser ».

Pour cela, il faut que l’« on mise sur un tourisme plus qualitatif, plus sélectif et moins sur le prix. Rassurer sur le volet propreté, les aspects sanitaires dans les hébergements et les lieux fréquentés par du public, anticiper la période post-confinement en étant prêt à communiquer avec le bon tempo au bon moment », explique Jordane Juschka, directeur de l’Office de tourisme d’Orcières-Merlette.

« Nous devons revendiquer nos valeurs humaines, de partage, de solidarité, de responsabilité, et d’authenticité. Elles sont au cœur de nos offres et de nos services. (Le marché domestique – et surtout régional – doit redevenir la priorité. Il faut pousser nos résidents secondaires à venir plus et plus longtemps, recréer des liens avec eux, leur proposer des avantages exclusifs et surtout leur envoyer plus d’information sur l’actualité de la destination », détaille Frédéric Blanc-Mappaz, directeur de l’Office de tourisme d’Arêches-Beaufort. « Soyons responsables tout en restant optimistes ! À nous d’être inventifs et créatifs tout en restant pragmatiques », conclut Jean-Christophe Hoff, le directeur de la SATELC, à La Clusaz.

Armelle Solelhac, Switch