Structurées autour de l’exploitation d’une ressource naturelle, la neige, les stations de sports d’hiver ont très tôt été amenées à mettre en place des adaptations, en réponse à des difficultés essentiellement conjoncturelles, parmi lesquelles, les aléas météorologiques (déficit d’enneigement) ou les méventes immobilières. Cela a conduit à l’adoption de stratégies visant à limiter les impacts de ces aléas.
S’agissant de l’enneigement, le dernier rapport du GIEC (GIEC, 2019) a mis en exergue les évolutions climatiques majeures que connaît la montagne, et notamment les Alpes. Avec la confirmation de l’accélération du réchauffement, la problématique de l’enneigement change de dimension et est devenue structurelle. L’objectif pour les gestionnaires de station est de garantir la skiabilité de leurs domaines skiables, en améliorant les techniques de damage et en augmentant leur production de neige de culture.
En parallèle, les différentes évolutions sociétales telles l’évolution de l’organisation des vacances (Viard, 2002, 2011), la relativisation de la place du sport pendant les vacances ainsi que l’attractivité de la montagne modifient les pratiques touristiques en stations (Kréziak et al., 2017). Ainsi, le nombre d’heures skiées par jour comme le nombre de jours skiés par séjour ont diminué, des évolutions menant les stations à travailler à une offre touristique complémentaire. La diversification de l’offre, en hiver à l’échelle de la station comme en été à l’échelle d’une destination touristique, a été soutenue dans certains massifs par les collectivités territoriales et l’État, à l’image du massif des Alpes. Enfin, les différents rapports rendus par la Cour des comptes font état de difficultés marquées pour les communes ancrages de ces stations. La recherche de compétitivité des stations via la modernisation des équipements, la sécurisation de l’enneigement ou encore la création d’infrastructures se fait dans certains cas au prix d’un très lourd endettement local.
Ces évolutions conduisent aujourd’hui à questionner la structure même du modèle touristique originel, ses rigidités comme son agilité. Les stratégies d’adaptation semblent trouver une limite (cf. les nombreux débats ayant entouré le transport de neige par hélicoptère dans la station de Luchon-SuperBagnères), tandis que de l’autre côté, la diversification touristique peine à trouver un modèle économique viable. Dans ce schéma, le projet TANDEM (Transition touristique des stations et territoires de montagne) piloté par INRAE en collaboration avec le Labex ITTEM (Innovation et Transition Territoriale En Montagne), Isère Attractivité et l’Agence d’Urbanisme de la Région Grenobloise propose une réflexion et une co-construction ambitieuse avec des stations et des territoires pilotes, autour de leur transition touristique et territoriale.
• La station sera plurielle
Débuté fin 2019, ce projet réaffirme dès à présent que la station de demain sera plurielle. Historiquement et au-delà de leurs spécificités territoriales (nombre de pistes, pentes, expositions, remontées mécaniques, etc.), les stations se structuraient toutes autour d’une même activité, le ski. Chemin faisant, les trajectoires de développement des stations et de leurs territoires se sont diversifiées, spécifiées. Cela s’observait déjà durant la décennie 2000 lorsque certaines stations s’orientaient vers une meilleure performance de leurs équipements tandis que d’autres valorisaient leur « taille humaine » et leur environnement. Aujourd’hui, le devenir des stations, de leurs modes de développement s’inscrit dans un contexte global, marqué par la mondialisation des flux, l’uniformisation des pratiques, ainsi que l’attractivité des spécificités locales (Massart et al., 2020). De fait, la palette des trajectoires possibles pour les stations s’élargit, reflet de la combinaison et de la complexité des facteurs territoriaux et globaux entrant en jeu.
• Le tourisme comme pivot de l’activité de ces stations ?
Après avoir été développées autour d’une mono-activité, les stations sont amenées à connaître d’autres schémas. Le développement de la résidentialité dans des territoires rendus attractifs par le cadre de vie, l’existence de services ainsi que la proximité avec une aire urbaine pourrait ainsi favoriser une hybridation où les touristes cohabiteront avec les nouveaux résidents.
D’autres stations pourraient devenir des pôles de nature, où l’activité hivernale serait reléguée en arrière-plan au profit d’activités de pleine nature. Ces deux exemples ne sont pas exclusifs, et témoignent bien davantage des évolutions à l’œuvre dans les stations conduisant à l’hybridation des formes de tourisme voire à la remise en question de la place du tourisme dans ces espaces d’altitude.
• Une organisation spatiale revue
L’évolution constatée des attentes des touristes, comme le changement climatique, a encouragé l’adoption de politiques de diversification touristique, à différentes échelles, et ce depuis les années 90 (Achin et George-Marcelpoil, 2019). Les ressources visées,
parfois localisées en périphérie des stations, contraignent à l’élargissement spatial des réflexions.
De plus, la loi NOTRe a introduit une nouvelle échelle territoriale de référence, du moins dans les territoires où les offices de tourisme n’ont pas été classés : l’intercommunalité. Dès lors, la prise en compte des enjeux touristiques doit composer avec des enjeux industriels, résidentiels ou de mobilité pouvant amener des relations inter-stations, urbain-montagne à se tisser.
Les évolutions sont donc nombreuses pour les stations et leurs territoires d’ancrage. Le « modèle canonique », construit autour de la neige, est mis en question ; des pistes d’évolution existent, mais restent à écrire. Une telle écriture ne pourra pas être dictée par des acteurs extérieurs au territoire, mais devra venir et être portée par des acteurs du territoire et pour le territoire. Le projet TANDEM a l’ambition de mettre en œuvre une démarche de co-construction avec des sites pilotes, pour parvenir à approcher, avec l’ensemble des informations nécessaires, le champ des possibles de l’évolution des stations de sports d’hiver.
Emmanuelle George, INRAE-LESSEM
Coralie Achin, INRAE-LESSEM, Labex ITTEM