Anne Barrioz : « Ce qui attire, ce sont les valeurs, la qualité environnementale et l’authenticité »

À l’heure où l’encre noircit cette page, en ce début janvier 2023, il fait 7°C à plus de 1 000 mètres. Il faisait 0°C à 3 400 mètres il y a quelques jours. 

Les territoires de montagne français et alpins, comme d’autres, sont impactés de plein fouet par les multiples crises qui surviennent depuis quelques années (sanitaire, sociale, géopolitique, économique, énergétique…). Malgré certaines fermetures, l’activité hivernale des stations de ski se poursuit. Entendez-vous au loin le ronronnement d’un télésiège qui part d’un front de neige… sans neige ?

Ces propos ne relèvent pas du « ski bashing ». Ils reflètent une part de la réalité. En apparence au moins, la montagne tient et continue d’attirer, des habitants 1, mais aussi des touristes. Ils répondent présents, et ce n’est pas pour déplaire aux travailleurs des montagnes, dont l’activité est construite dans une dépendance étroite avec le tourisme. Nous ne pouvons nier toutefois que ces vacanciers vont repartir avec une image particulière de nos territoires, que nous contribuons à produire, en maintenant ces activités coûte que coûte, et surtout qu’ils vont sans doute s’en souvenir. Le 30 décembre, un court reportage d’un quotidien suisse le montrait déjà 2. Et si, à défaut de s’adapter, nous arrivions enfin à anticiper ?

Écrit en 2018, un scénario prospectif de mes travaux de recherche doctorale 3 questionnait ces enjeux à l’horizon 2050. L’imaginaire que je projetais dans un temps long semble se faire rattraper par la réalité. Les messages d’alerte, à commencer par ceux de René Dumont en 1974, puis par les nombreux rapports du GIEC, se sont multipliés depuis plusieurs décennies.

Et les anciens des villages s’y accordent : « ils en veulent toujours plus ! […] Bande d’assommés de pain frais ! » s’exclame Mimi Pauliac à la caméra de Jean-Noël Deparis pour La Place du village 4 .

Et pourtant, lors de ses vœux présidentiels du 31 décembre 2022, le président Emmanuel Macron nous demandait « qui aurait pu prédire […] la crise climatique ? » 5. La chercheuse que je suis aimerait voir en ces réflexions et en ces crises, non pas une difficulté et des blocages, mais l’occasion de nous améliorer. Et si nous acceptions que ces crises fassent partie de notre évolution et qu’elles nous donnent l’occasion d’aller plus loin ?

Les montagnes d’aujourd’hui gardent en elles le changement majeur que leur a permis l’arrivée de l’industrie du ski et de l’activité touristique hivernale, permettant de passer d’économies extensives à d’autres plus lucratives. Cependant, la nostalgie et l’appât du gain semblent continuer à régir nos actes individuels et nos actions collectives. En attendant, les peuples racines alertent l’Occident. Dans son ouvrage , F. Van Ingen 6 reprend leurs interrogations : « Peut-être nous invitent-ils à ne plus penser nos relations au monde vivant, à la nature, en termes de «  bien » et de «  mal  », mais plutôt de les revisiter en se posant cette question, vitale : qu’est-ce qui est favorable au renouvellement harmonieux de la vie, et donc des écosystèmes  ? ». Malgré nos efforts, nous donnons-nous réellement les moyens et la volonté d’enrayer la tendance, voire de repenser notre modèle dans une optique de sobriété respectée et assumée ? Des acteurs comme la

fondation USMB, par l’intermédiaire de la chaire Tourisme Durable, questionnent ainsi l’impact de grands évènements sportifs dans les territoires. La ferveur et l’humanité retrouvées le temps de courtes journées font oublier les efforts pour la mise en place de ces festivités, mais aussi, et de façon plus incongrue, les conséquences sur notre planète.

L'auteure : 

Anne Barrioz est chercheuse associée au laboratoire EDYTEM. Agrégée et docteure en géographie, inspirée par l’ethnologie et la sociologie, elle est l’auteure d’une thèse saluée par le prix d’excellence Coup de cœur de la Fondation Université Mont Blanc et dont les réflexions ont fait l’objet de l’ouvrage "S’installer et vivre dans les hautes vallées alpines", publié en 2022.