La recrudescence de situations avec des neiges plus humides nécessite de progressivement reconsidérer les scénarios de calculs dans certaines situations préjudiciables.
Une exposition majorée ?
Les avalanches et le bon ski partageant la même nécessité de pentes “suffisantes“, les remontées mécaniques sont régulièrement confrontées à des risques nivologiques jusqu’à devoir protéger spécifiquement certains pylônes. Les restructurations récentes des domaines skiables induisent aussi des alignements plus ambitieux qu’il s’agit donc de protéger en conséquence.
Le principal risque reste celui des avalanches coulantes de neige récente froide, normalement déclenchées et contrôlées dans le cadre des Plans d’intervention de déclenchement des avalanches (PIDA), dès ou juste après la chute. Avec cette qualité de neige, certains sites manifestent aussi rarement des aérosols potentiellement ravageurs (destruction du télésiège de Fontaine de Cotch à Gourette par l’avalanche du Z en février 2015).
Mais désormais, et en lien avec l’évolution climatique, de nouveaux “régimes“ notamment de température (gel des sols possiblement faible en début de saison, fluctuations de l’isotherme 0°C …) semblent dessiner une menace accrue des phénomènes de reptation ou d’avalanches coulantes de neige humide : celles-ci peuvent générer des efforts majorés sur les pylônes, et chacun a notamment en tête les images de la destruction des portiques de la gare de départ du télésiège de la Lauzière à Saint-François-Longchamp en mars 2012.
Au-delà de certains débats administratifs autour de la (seule) période de retour des phénomènes, de la (non) prise en compte des opérations PIDA ou de certaines protections voire de l’acceptation d’un risque industriel par l’exploitant, ce nouveau contexte pousse surtout à reconsidérer les scénarios de dimensionnement.
Une prise en compte à améliorer
Par exemple, la reptation a parfois été insuffisamment considérée alors qu’elle peut être très préjudiciable comme l’ont montré des hivers très actifs (2013, 2014…) : basculements irrémédiables de pylônes de la télécabine du Lys à Cauterets ou du téléski de Véleray aux Contamines-Montjoie (fig. A)…
Globalement, le cadre règlementaire reste assez imprécis sur ce thème : le guide RM2 1 stipule uniquement que “Les justifications (…) doivent tenir compte des efforts exercés par tassement ou reptation (de la neige)“ et classe les “avalanches“ (sans autre précision d’occurrence) en action accidentelle. Le nouveau référentiel de la norme NF EN 13107 2 va un peu plus loin en termes de charges variables dues au “glissement de la neige“ avec une période de retour originale de 50 ans, et distingue les avalanches fréquentes ou déclenchées artificiellement (charges variables) des avalanches plus rares (accidentelles) tout en requérant les expertises nécessaires. Récemment, certains services instructeurs départementaux ont exigé la prise en compte générique des avalanches centennales en lien avec la doctrine des Plans de prévention des risques (PPR) dédiés aux zones urbanisées.
Dans tous les cas, l’enjeu prioritaire est surtout de correctement combiner et pondérer les charges correspondantes – par exemple la pression d’une avalanche trentennale considérée comme “variable“ au sens des Eurocodes peut très bien être plus préjudiciable structurellement qu’une pression centennale “accidentelle“ – et de disposer de formules réalistes pour en évaluer l’intensité.
Pour cela, le guide suisse 3 fournit un cadre opérationnel très complet, de la planification du projet aux phases d’exploitation en passant par son dimensionnement vis-à-vis des risques nivologiques. Pour les avalanches, il reprend la fameuse analogie hydraulique de la pression basée sur le carré de la vitesse : q = ½ · c · r · v² qui fait également intervenir la densité r (classiquement 300 kg/m3 dans l’écoulement) et surtout un coefficient de traînée c qui dépend de l’interaction avec l’obstacle mais aussi du régime de l’écoulement (en phase de plein développement, d’arrêt…).
Des recherches actives
Cependant, et parmi les sept types d’avalanches récemment classées par des chercheurs suisses 4 à l’aide de leur signature radar, cette simplicité fonctionne bien pour les écoulements rapides (dits “inertiels“) de neige froide mais a du mal à complètement en décrire d’autres importants : en particulier, les phénomènes (dits ‘’gravitationnels’’) qui ont subi une transition de température avec des teneurs en eau plus élevées comme les lents “warm plug regime“ (type Saint-François-Lonchamp 2012) s’accommodent mal d’une formule qui fait la part belle à la vitesse. Certes, il est possible de majorer la densité (jusqu’à près de 500kg/m3) ou le coefficient de traînée, mais encore faut-il bien cerner la physique en jeu au-delà d’un bricolage numérique.
Déjà, l’ajout d’un terme de pression dépendant et croissant avec l’épaisseur (type “poussée des terres“ par analogie géotechnique) corrige la seule dépendance à la vitesse. Ensuite, un certain consensus scientifique converge désormais quant à l’influence cruciale de la zone statique d’accumulation qui se forme directement à l’amont de l’ouvrage impacté (fig. B). Cette “zone morte“ dépend directement des géométries, positions et directions à l’interface. Dans certains cas, elle va naturellement optimiser la forme apparente de l’obstacle pour minorer la pression transmise, notamment grâce à la redirection de l’écoulement autour de cet ensemble. Dans d’autres cas, le recours aux notions de compaction et de cisaillement permet d’expliquer qu’un ouvrage fin comme un pylône peut subir une pression relativement plus importante.
Faute de certitudes complètes à ce stade, il s’agit donc déjà de bien identifier les ouvrages pouvant faire face à ce type de situation (pylône en zone d’arrêt par exemple) tout en faisant progresser des règles de calcul opérationnelles alimentées des derniers travaux de recherche et des tendances climatiques.
Philippe Berthet-Rambaud, ENGINEERISK
Fanny Bourjaillat, ENGINEERISK