Le processus de transformation des stations de montagne continue au niveau mondial. Reste que les diagnostics ne sont ni partagés, ni envisagés selon les mêmes perspectives. Certains évoquant des transformations nécessaires liées aux évolutions conjoncturelles (crise Covid, changements climatiques), alors que d’autres s’interrogent plus sur les origines structurelles des changements à réaliser pour accompagner les mutations nécessaires.
Un marché à maturité
Si les conditions de l’offre touristique se sont transformées ces dernières décennies, c’est principalement en raison de l’arrivée à maturité du marché de la montagne l’hiver, d’une identification et d’une connaissance plus fine des produits par les clientèles. À cela s’ajoute pour la France, la particularité d’avoir une partie de clientèle qui est captive : les propriétaires d’hébergements qui participent directement ou indirectement à l’activité économique (usages, locations, prêts). La structuration du modèle s’est constituée autour d’une offre en appartements ou résidences et de l’excellence des domaines skiables. Après 50 ans de développement basé sur la construction d’appartements neufs, nous observons une difficile mutation de l’offre. Si le constat de préserver les lits chauds est identifié dans tous les territoires, changer les manières de faire et arrêter de construire est encore aujourd’hui inenvisageable pour certains.
Un renouvellement difficile
Depuis près de 20 ans les tentatives de rénovation d’hébergements tentent de limiter la création de lits froids 1. Force est de constater que les échecs des ORILS et de la foncière immobilière de la CDA, prouvent que les modèles proposés ne sont pas efficients 2 et ne restent que des pis-aller tant que l’on ne maîtrisera pas complètement ces lits pour en faire des lits touristiques. Ceux qui avaient imaginé cette possibilité n’ont pas été soutenus à l’origine 3 et les stations se trouvent coincées dans un modèle difficile à modifier. L’activité principale, reposant sur l’hiver, a fait prendre des habitudes de fonctionnement et d’investissements. Les cinq mois d’activités hivernales générant des revenus importants et les volumes de clients restant la cible, l’organisation de l’offre a beaucoup de mal à être repositionnée. Avec moitié moins de lits touristiques que nous 4 et 5, l’Autriche réalise plus de journées skieurs en saisons hivernales 6, alors que nous avons des tarifs de forfaits moins chers qu’eux dans la majorité des cas. En fait, leurs taux de remplissage sur la saison sont bien meilleurs. Il sera intéressant de suivre, comment Ischgl va réajuster son offre, suite à leur expérience de cet hiver 7. Toutes les zones de montagne vont subir les effets des changements climatiques dans les prochaines années. Si l’offre ski a encore de belles années 8, celle-ci s’est banalisée au fil des ans. L’excellence des domaines skiables est reconnue, mais l’enjeu repose désormais sur l’offre globale.
Le frein de l’accessibilité
Pour devenir de véritables stations touristiques de montagne attractives sans trop de nuisances à l’année, il faudrait revoir certaines formes d’organisation. Si certains travaux sont réalisés en période estivale, les nuisances qu’ils occasionnent n’incitent pas le client à revenir ou à recommander la destination. Les modifications de remontées mécaniques impliquent des travaux lourds, ils restent ponctuels et rarement proches des centres de vie. Mais il est des « nuisances » plus récurrentes et historiques : les bouchons liés aux accès stations en saison hivernale. L’organisation du samedi au samedi pénalise l’ensemble des acteurs. Liée aux habitudes et à l’excuse des calendriers scolaires cette contrainte s’est maintenue. Sauf pour certains hébergeurs (hôteliers ou Club Med, …), qui ont adapté leurs offres avec des séjours du dimanche au dimanche ou avec des arrivées possibles dès le jeudi comme en Isère 9. On peut aussi s’interroger, alors que l’on réclame le retour des classes de neige pour faire renouer les jeunes avec la montagne l’hiver ; pourquoi une offre mixant ski et éducation n’est pas plus proposée (Orcières, Chamrousse, Queyras…) 10. La crise de la Covid a chamboulé les prévisions d’une saison hivernale qui s’annonçait excellente, il serait temps de revoir le modèle économique des territoires qui ont des potentialités tellement importantes… que les certitudes sur des axes de développement n’ont jamais réellement fait évoluer. Il est l’heure de passer à un autre moment de l’histoire 11.
« Le tout ski c’est fini, mais sans le ski tout est fini », déclare depuis des années Laurent Reynaud, mais pour moi, « avec ou sans ski, la montagne est un territoire jamais fini » … il faut juste éviter de persévérer dans certaines orientations obsolètes ; penser aux aspirations des visiteurs mais aussi aux besoins des habitants à long terme.
Éric Adamkiewicz, Université Paul Sabatier Toulouse III