Imaginer le ski autrement : une expérience partagée

Les attentes des consommateurs évoluent, le besoin de partage et d’expérience collective est significatif de ces nouvelles tendances. Or, l’offre ski alpin, ancrée dans une dimension sportive et individuelle ne semble pas prendre en compte l’évolution de ces tendances de consommation. Et si on pensait le ski autrement ?

Le partage des émotions, aspect central de l’expérience de loisir

Les recherches en marketing et en psychologie sociale ont depuis longtemps mis en avant l’importance de la dimension sociale de l’expérience de consommation des loisirs. Ainsi, au-delà de la recherche de sensations individuelles, l’activité de loisirs repose aussi sur une dimension interpersonnelle avec le vécu d’une expérience partagée. Les études ont montré que le niveau de satisfaction de l’expérience de consommation dépend fortement des interactions sociales vécues à cette occasion. L’activité de loisir préférée de chaque consommateur est toujours une activité lors de laquelle il existe des interactions positives avec autrui. D’ailleurs, l’absence de compagnon est un frein majeur à la participation à une activité.

Au-delà des interactions sociales, ce sont les interactions émotionnelles qui sont recherchées. En effet, des travaux en psychologie sociale ont montré que les émotions ne sont pas vécues pour soi-même, mais pour les partager. On parle de partage social des émotions. Les études que j’ai réalisées sur les festivals et les rencontres sportives ont validé le fait que la dimension émotionnelle collective est une composante centrale de l’expérience de consommation récréative. L’immersion dans l’expérience est favorisée par une forte intensité et une fréquence importante des échanges émotionnels. Dans ces contextes festifs ou récréatifs, les consommateurs ( spectateurs ou festivaliers) mettent en place de véritables stratégies ( choix de l’emplacement, déguisement… ) en fonction des interactions émotionnelles recherchées. Le « vivre ensemble », mais surtout le « partager des émotions ensemble » prime sur le reste. Ce phénomène est aussi observable dans l’ensemble du secteur des loisirs, pour preuve le succès des expériences ludiques collectives comme les escape games ou les colors runs (dont la course n’est qu’un prétexte à vivre des émotions ensemble). Les caractéristiques communes de ces deux offres expérientielles sont à la fois l’aspect ludique, (et donc propice à un échange entre personnes), mais aussi le fait qu’elles offrent du temps de partage en continu tout au long de l’expérience. En ce sens, elles répondent parfaitement au besoin actuel des consommateurs.

Faut-il alors repenser le ski ?

La réponse est « oui », et il faut le considérer comme un prétexte à vivre une expérience collective. Cela nécessite un changement de paradigme et le fait que les consommateurs ne sont pas tous là pour avaler des pistes à la recherche des sensations de glisse. Il s’agit d’intégrer la dimension émotionnelle collective dans les valeurs de l’expérience ski, au même titre que les dimensions esthétique, sportive ou encore de déconnexion. Les offices du tourisme l’ont bien compris. Ils mettent en avant, dans leur communication, ces moments de partage et de convivialité. Mais, ce sont plutôt les images de repas, d’après-ski, de fête qui permettent de véhiculer ces valeurs et les émotions partagées lors d’un séjour en station, et non l’activité ski en elle-même. Il est vrai que certains aspects de la pratique du ski alpin ou du snowboard limitent fortement les interactions émotionnelles. Le port du masque ou lunettes et parfois d’un buff recouvrant le bas du visage limitent d’emblée l’expression faciale des émotions qui sont à la base des interactions émotionnelles. De plus, le temps dédié aux échanges est limité aux moments de pause : on ne se parle et on ne se regarde que très peu lorsqu’on skie. Les files d’attente et le transport dans les remontées mécaniques peuvent être l’occasion d’échanger avec ses compagnons, si tant est que la densité sociale de la file le permette (ce qui est rarement le cas). Ainsi de par sa nature de sport individuel, son organisation et ses contraintes en termes d’équipement, l’activité ski ne propose pas les conditions optimales pour développer en permanence des interactions émotionnelles. Celles-ci sont épisodiques.

Quelles solutions pour que le ski soit une expérience collective à chaque moment ?

Il s’agit, dans un premier temps, de créer les conditions favorables aux interactions sociales et émotionnelles. Il existe déjà sur le domaine skiable des zones où les skieurs se retrouvent et passent du temps ensemble. Trois zones ont été identifiées à ce niveau : les chill zones des snowparks, les pistes ludiques avec des ateliers, jeux ou les skieurs vont moins vite, partagent leur expérience, et enfin les espaces festifs (dancefloor d’altitude comme la Folie Douce). Ces espaces rencontrent un réel succès au vu de leur fréquentation.

Un premier axe de réflexion serait de repenser l’organisation spatiale du ski, en aménageant plus de lieux d’échanges, que ce soit des zones de pique-nique, de contemplation, dédiées à la photo, ou tout simplement des zones d’arrêt sécurisées afin que les pauses puissent se faire dans un espace tranquille, propice aux échanges entre skieurs. De la même manière, envisager l’attente aux remontées mécaniques comme un moment d’échange impose des modifications dans son organisation afin de prendre en compte les phénomènes de contagion émotionnelle.

Le second axe de réflexion serait le développement d’expériences ludiques et collectives dans l’optique de susciter les interactions émotionnelles. L’aménagement du terrain, la mise en place de jeux ou défis sont des réponses, tout comme l’évènementiel. En effet, les évènements sur les pistes sont une solution pour favoriser ce partage d’émotions lors de l’activité ski. Les évènements ludiques par équipe tels que Le grand prix de Serre-Chevalier, ou the Game by ESF, ou les festivals de musique qui se tiennent sur les pistes (Rock the Pistes, Tomorrowland Winter, etc.), remplissent ce rôle à merveille, ce qui est une des raisons de leur succès.

Ainsi, pour répondre au besoin de partage et de vécu collectif des skieurs, les décideurs doivent intégrer cette dimension émotionnelle collective dans le développement de leur offre sur piste. Il s’agit in fine d’imaginer la pratique du ski, non plus comme une production d’émotions individuelles, mais comme une production d’émotions partagées.

Nico Didry est chercheur en comportement du consommateur au laboratoire CREG. Spécialiste de marketing expérientiel et sociologie de la consommation, il est responsable du Master « Stratégies Économiques du Sport et du Tourisme » (SEST).