Depuis une trentaine d’années, une augmentation généralisée de la température du permafrost alpin est observée. La dégradation (réchauffement) de ces terrains durablement gelés entraîne une intensification des aléas naturels en haute montagne et un accroissement des risques de déstabilisation pour les infrastructures. Différentes stratégies sont déjà mises en œuvre par les gestionnaires pour limiter les dommages.
Le permafrost de montagne
Dans les Alpes françaises, l’industrie des sports d’hiver a connu un développement important au cours des quatre dernières décennies et plusieurs centaines d’infrastructures (remontées mécaniques, refuges, défenses contre les avalanches, etc.) ont été construites en haute montagne sur des terrains à permafrost. Le permafrost, ou pergélisol, est un état thermique : il caractérise les matériaux lithosphériques dont la température reste en permanence négative. Contrairement aux glaciers, il n’est pas directement visible dans le paysage. La glace qu’il contient, en quantité très variable, est généralement cachée dans le sol ou dans les anfractuosités de la roche. Il occuperait environ 700 km2 dans les Alpes françaises, soit plus du double de la superficie des glaciers. Une augmentation généralisée de sa température a été observée depuis une trentaine d’années. Dans ce contexte, les infrastructures construites sur ces terrains comportant du « ciment de glace » deviennent vulnérables face à d’éventuels mouvements de leurs terrains-porteurs.
Risques directs liés à la dégradation du permafrost
Depuis plus de 15 ans, le laboratoire EDYTEM développe des travaux de suivi du permafrost alpin et de compréhension des risques associés, notamment pour les infrastructures. Plusieurs projets de recherche récents (projets ALCOTRA PrévRisk, FEDER POIA PermaRisk, ou encore FEREC STAAF) se sont concentrés sur la thématique des infrastructures afin de : (i) identifier l’ensemble des infrastructures construites sur du permafrost dans les Alpes françaises, (ii) construire et appliquer un indice de risque pour identifier les sites les plus sensibles, (iii) recenser les désordres géotechniques, (iv) développer des méthodes d’étude du permafrost de l’échelle locale à régionale, et (v) évaluer les stratégies d’adaptation et d’atténuation mises en œuvre.
Au total, 947 éléments d’infrastructures sont présents sur des terrains à permafrost et 74 % d’entre eux sont des composantes de remontées mécaniques. Dans le contexte actuel de réchauffement climatique, leur maintenance représente parfois un défi technique du fait des modifications de la stabilité des terrains-supports. Des mouvements, même légers, des fondations d’une gare ou d’un pylône de remontée mécanique sont amplifiés à leur sommet (Fig. A). Cela perturbe par exemple l’alignement et la tension des câbles, ce qui peut conduire à des problèmes mécaniques et de sécurité. Déjà plus d’une vingtaine d’infrastructures ont connu des dommages et désordres géotechniques du fait de l’évolution du permafrost sur les trente dernières années *. On observe également une augmentation relative du nombre des structures endommagées sur les deux dernières décennies et une augmentation des coûts de maintenance.
La majorité des dommages concerne des terrains riches en glace tels que les glaciers rocheux. Ils auraient sans doute pu être anticipés et/ou évités avec des diagnostics et études géotechniques plus précis et prenant mieux en considération la question du permafrost. Les processus géomorphologiques à l’origine des déstabilisations d’infrastructures sont le plus souvent des processus relativement lents, parfois déclenchés par des perturbations anthropiques. Ainsi, le funitel de Thorens (2 825 m, Savoie ; Fig. B), construit en 2011, a vu son pylône n°2 se déstabiliser en 2016. La combinaison entre des facteurs de déclenchement « naturels » – comme la dégradation du permafrost et le lessivage par l’eau des matériaux sous les fondations – et « anthropiques » – tels que la modification de la microtopographie et un déneigement artificiel – a entraîné l’affaissement du terrain conduisant au basculement du pylône.
La situation a nécessité une réaction rapide du gestionnaire pour trouver une solution géotechnique adaptée, appuyée par les résultats de méthodes géophysiques permettant de préciser la distribution et l’état du permafrost.
Des stratégies majoritairement réactives
L’application d’un indice de risque a permis d’identifier 148 éléments d’infrastructures caractérisées par un risque fort à très fort de déstabilisation au cours des prochaines années/décennies dans les Alpes françaises. Lorsqu’on analyse les stratégies d’adaptation et d’atténuation déjà déployées pour les infrastructures les plus à risques, on observe qu’elles sont majoritairement réactives – pour « faire face » –, basées sur une adaptation des fondations et sur le renforcement du terrain-support. Il s’agit de solutions souvent très coûteuses mais qui garantissent une remise en exploitation et en sécurité rapide des infrastructures. Encore trop peu de stratégies proactives (anticipation) – malgré un coût moins prohibitif – sont mises en place pour diminuer les apports de chaleurs dans le sous-sol et/ou surveiller la stabilité des terrains et l’évolution du permafrost sur le long terme.
Un challenge pour détecter et évaluer l’invisible
Au cours des cinq dernières années, les méthodes d’investigation en géophysique et modélisation thermique ont nettement progressé afin de détecter ce permafrost invisible. Il est donc aujourd’hui plus facile de détecter les terrains sur lesquels il importe de ne pas construire. Différents sites d’études on fait l’objet de tests méthodologiques en paroi rocheuse (exemple du refuge des Cosmiques, Chamonix) ou sur glacier rocheux (exemple du funitel de Thorens, Val Thorens). Ces différents travaux ont démontré l’intérêt du couplage de plusieurs méthodes sur le terrain et de mesures en laboratoire pour préciser l’état thermique et la distribution du permafrost dans les terrains-supports d’infrastructures. σ
* Ce travail reste non exhaustif en raison d’un manque de données pour certaines stations.
Pierre-Allain Duvillard, Edytem, Univ. Savoie-Mont-Blanc
Ludovic Ravanel, Edytem, Univ. Savoie-Mont-Blanc